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Par Patricia Savin, avocate associée DS Avocats, présidente de Oree

Le foncier à l’aune des enjeux biodiversité

En partenariat avec Laboratoire d'Initiatives Foncières Territoriales Innovantes

© sveta / Adobe Stock

Parmi les différents usages du foncier, l’un d’entre eux a longtemps été passé sous silence : celui de la biodiversité. Mais le vent est peut-être en train de tourner que ce soit à travers le plan de relance mais aussi de récentes évolutions législatives.

2021 est l’année de la Cop Climat et de la COP Biodiversité. Plus que jamais, les enjeux de transition écologique sont importants, avec une approche transversale à développer. Ainsi, dans un contexte de crise sanitaire et économique, le Plan de relance de 2020 entend permettre de « reconstruire une économie forte, écologique, souveraine et solidaire » [1]. À cet effet, 100 Mds€ sont alloués dans plusieurs secteurs : compétitivité économique, transition écologique, cohésion sociale et territoriale. Soixante-dix programmes sont visés.

Sur les 100 Mds€ alloués, 30 Mds€ sont spécifiquement affectés à la transition écologique [2]. Pour autant le reste est alloué à d’autres secteurs qui devront nécessairement intégrer les enjeux de transition écologique : 35 à la relance industrielle, 15 à la réduction du chômage et 20 pour la cohésion des territoires. À cet égard, le gouvernement doit, en transversalité de ministères, cibler ses efforts sur les secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre à savoir le bâtiment, les transports, l’industrie, la production énergétique et l’agriculture.

Concernant plus spécifiquement les enjeux de biodiversité, le principe de protection stricte des espèces protégées est posé depuis de nombreuses années au Code de l’environnement, articles L.411-1 et suivants, posant le principe de l’interdiction stricte de détruire des espèces protégées.

Des projets d’aménagement et de construction ont toutefois pu se réaliser via les dossiers dits de dérogation espèces protégées, devant répondre à trois conditions cumulatives : absence d’autres solutions satisfaisante ; maintien des populations concernées dans leur aire de répartition naturelle ; projet inscrit « dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publique ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques pour l’environnement ».

Difficile à appréhender, subjective par définition, la notion « de raison impérative d’intérêt public majeur » tend à voir son champ d’application se réduire considérablement, au point de questionner sérieusement le développement des projets urbains.

Dans l’arrêt Val Tolosa du 24 juillet 2019, le Conseil d’État a refusé de retenir le caractère « de raison impérative d’intérêt public majeur » pour un projet de centre commercial de 60 000 m2 portant, selon les promoteurs, création de 1 500 emplois, participation à l’animation urbaine, adaptation à l’évolution démographique de l’agglomération toulousaine, soutiens locaux et insertion du projet en ZAC. Le 10 décembre 2019, la cour administrative de Bordeaux a également rejeté le caractère « de raison impérative d’intérêt public majeur » d'un projet de rocade de 3,2 km porté par le Conseil départemental de Dordogne en ce que le Conseil estimait que ce projet visait à améliorer les conditions de circulation et à favoriser le développement touristique local en améliorant les conditions d’accès dans le bourg, confirmant le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 9 avril 2019 qui avait annulé l’autorisation environnementale unique et ordonné la remise en état du site.

Dans le même temps, le gouvernement a fixé dans le Plan biodiversité 2018 un objectif de « zéro artificialisation nette à terme », interrogeant nécessairement le secteur de l’aménagement et de la construction via les enjeux de surface de plancher, de renouvellement urbain, de densité du bâti et de désartificialisation. Dans son rapport du 23 juillet 2019, France Stratégie avait proposé une trajectoire à 2030 considérant que si aucune mesure n’est prise pour inverser la tendance, ce sont 280 000 ha d’espaces naturels « supplémentaires qui seront artificialisés d’ici 2030 ». Ce rapport annonce en conséquence la nécessité d’un durcissement des règles d’urbanisme afin de favoriser le renouvellement urbain et la densification de l’habitat, tout en menant une politique de renaturation des espaces artificialisés laissés à l’abandon. Le 29 juillet 2019, les préfets ont ainsi reçu une instruction du gouvernement leur indiquant que leur action intervient dans la trajectoire devant rendre applicable l’objectif de zéro artificialisation nette du territoire. S’agit-il alors de plus construire en France ? La première nécessité consisterait déjà à définir le terme d’« artificialisation » à ne pas confondre avec « imperméabilisation ».

L’année de la COP 15 en Chine, l’enjeu politique et juridique sera sans doute de réussir à concilier nécessaire préservation de la biodiversité et réponses aux besoins humains rappelées au Code de l’urbanisme, article 110 : « Le territoire français est le patrimoine commun de la nation », dont le sol doit être géré de « façon économe », afin« d’aménager le cadre de vie, d’assurer sans discrimination aux populations résidentes et futures des conditions d’habitat, d’emploi, de services et de transports répondant à la diversité de ses besoins et de ses ressources ».

Une piste certaine, non dogmatique et d’avenir, réside certainement dans la reconversion des friches industrielles, et le développement du mécanisme du tiers demandeur.

[1] Discours du 14 juin 2020 du président Emmanuel Macron https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/06/14/adresse-aux-francais-14-juin-2020

[2] https://www.bpifrance.fr/A-la-une/Actualites/Plan-de-relance-tout-ce-qu-il-faut-en-retenir-50486  ; https://www.gouvernement.fr/france-relance

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