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Par Frédéric Levy, DS Avocats

Maîtriser le coût du foncier sans spolier les propriétaires ? L’équation à plusieurs inconnues des collectivités publiques

En partenariat avec Laboratoire d'Initiatives Foncières Territoriales Innovantes

© IRStone / Adobe Stock

Ce qui est rare est cher ! Un terrain bon marché est rare, un terrain bon marché est cher ! Ce syllogisme absurde résume pourtant à lui seul l’équation impossible à laquelle se trouvent confrontées les collectivités publiques lorsqu’elles ambitionnent d’initier des opérations de renouvellement urbain ayant pour objet de créer de nouveaux quartiers de villes assurant une mixité sociale. Selon un rapport des sénatrices Dominique Estrosi-Sassone et Valérie Letard, le prix du logement est 72 % plus élevé qu’en 2000. Le prix moyen des terrains à bâtir a progressé de 55 % entre 2008 et 2018. Comment, dans ces conditions, acquérir du foncier à un prix maîtrisé pour pouvoir construire du logement social ?

Cette question n’est en réalité pas nouvelle. Dans une lettre adressée au général de Gaulle en 1964, le Premier ministre Georges Pompidou s’inquiétait déjà de l’incidence de la spéculation foncière sur les projets d’aménagement du territoire. Il y confrontait alors l’intérêt général et le nécessaire respect de la propriété privée. Il ne s’agissait pas d’acquérir des biens immobiliers par expropriation à des prix inférieurs à leur valeur marchande, mais de protéger les personnes publiques en charge de la réalisation d’opérations d’envergure de la spéculation foncière née des changements de valeur apportés par les travaux publics.

C’est en considération de cette recherche d’équilibre entre les intérêts contradictoires que plusieurs dispositions du code de l’expropriation imposent des règles d’évaluations particulières au juge de l’expropriation :

  • la première pose le principe de la réparation intégrale du préjudice : un exproprié doit recevoir une indemnité représentant la conséquence directe, matérielle et certaine de son expropriation. Celle-ci ne doit donc ni l’appauvrir ni l’enrichir. L’objectif étant qu’il soit replacé en même et semblable état et qu’il puisse acquérir un bien identique à celui dont il est dépossédé ;
  • la seconde, une fois ce premier principe consacré, fige à une date de référence fixée rétroactivement l’usage effectif en considération duquel des indemnités d’expropriation vont être allouées. Le principe alors est d’interdire l’indemnisation par anticipation de valeur. L’immeuble ne doit pas être évalué en considération de sa vocation future. Cette règle est particulièrement importante en ce qui concerne la qualification des terrains. Des parcelles ne peuvent pas recevoir la qualification de terrains à bâtir si à cette date de référence elles ne sont pas effectivement situées dans une zone constructible du plan local d’urbanisme et si elles ne disposent pas d’éléments de viabilité suffisants, ces deux conditions devant être cumulativement réunies.

La recherche de cet équilibre entre les droits des personnes au respect de leur(s) bien(s) et l’intérêt général dont les collectivités publiques sont en charge fait l’objet d’âpres discussions devant les juridictions judiciaires. Elles se concentrent autour de la question du partage des plus-values. Des propriétaires ont récemment interpelé les juridictions de l’expropriation pour savoir si, dans les opérations de zones d’aménagement concertées (ZAC), lorsque l’autorité expropriante, après aménagement, s’apprêtait à vendre des charges foncières à des opérateurs privés à des prix très supérieurs à celui de leur acquisition, il était bien normal de ne pas les faire profiter d’une partie de la plus-value qui résultait de la vente.

En réponse, les autorités expropriantes ont fait valoir qu’une opération d’aménagement devrait s’apprécier de manière globale, non pas parcelle par parcelle ni bien par bien, mais dans son intégralité de sorte que la notion de plus-value était par elle-même inadaptée, le profit généré par une vente devant s’apprécier en considération du bilan général de l’opération. Elles ont insisté sur le fait qu’aujourd’hui, à quelques exceptions près, les bilans d’opérations étaient la plupart du temps négatifs tant il est vrai que les frais occasionnés par le changement d’usage d’un secteur nécessitaient des investissements publics considérables.

En d’autres termes, la vente d’un terrain en ZAC ne devait pas être regardée comme un simple achat pour revendre, assimilable à un acte de commerce, mais comme un acte complexe, conditionné par la réalisation des objectifs d’aménagement déclarés d’utilité publique. Cette question est apparue suffisamment importante à la Cour de cassation pour qu’elle saisisse le 1er avril 2021 le Conseil constitutionnel de deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC).

Au-delà de la réponse que la juridiction suprême pourra apporter à cette question, se pose celle de la participation des propriétaires expropriés aux profits éventuels résultant d’une opération d’aménagement. À supposer que les pouvoirs publics souhaitent y apporter une réponse positive, qui devraient en être les bénéficiaires ? Et surtout, comment s’y prendre ? Et derrière cette première série de questions s’en profile une autre, plus inquiétante : la remise en cause des principes d’évaluation du code de l’expropriation protégeant les autorités expropriantes n’est-elle pas de nature à rendre beaucoup plus difficile la réalisation d’opérations mixtes en sites urbains, dans des zones tendues affectées par une forte hausse du marché immobilier ? Alors que le principe du zéro artificialisation net limite aujourd’hui les possibilités pour les autorités publiques de réaliser des opérations d’aménagement en extension urbaine, le coût de celles à organiser dans les zones déjà urbanisées ne va-t-il pas être prohibitif et de nature à inciter ces collectivités publiques à renoncer à lancer de tels projets ?

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