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Par Xavier Baumelou, directeur général d’AIA Life Designers, et Simon Davies, vice-président de la Fondation AIA et directeur d’AIA Environnement

La crise, l’architecture et la santé

Isolement des personnes âgées, détresse psychologique des étudiants, creusement des inégalités et augmentation générale de la pauvreté, manque de lits, épuisement des personnels soignants… La question de la santé, individuelle et globale, se pose à l’urbanisme. Et il est question aujourd’hui de repenser les villes et les hôpitaux, d’imaginer les projets de demain « flexibles, réversibles… » pour affronter l’épidémie. Mais comment faire face en évitant les solutions toutes faites, déterminées par l’urgence ?

© Robert Kneschke / Adobe Stock

Avant tout, il est de la responsabilité de l’architecte-urbaniste de rappeler que nous ne saurions adapter totalement nos projets aux temps de crise. Les courants hygiénistes des années 1930 et l’architecture blanche des années 1960-1970 ont ainsi défini des dogmes avec les meilleures intentions ! Dessiner un modèle d’architecture « Covid compatible », ce serait retomber dans un style d’étalement peu adéquat pour l’environnement. Il ne faudrait pas résumer la réponse à la crise par un simple « construire plus » anachronique : plus de mètres carrés pour plus de lits, plus de services, etc. ? N’oublions pas que plusieurs crises se superposent, dont une crise environnementale majeure. Le traitement des différentes échelles de cette crise invite donc à considérer une problématique très large : celle d’un bien-être et d’une santé « globale » au cœur de tout projet urbain et architectural. Alors, « comment allons-nous ? », et que devons-nous faire, nous, « fabricants de la ville », par rapport à cette immense question ? En premier lieu, comme d’autres confrères, on a vu naître dès les débuts de la crise des solutions de terrain « en mode action ». Les premières ont notamment consisté à étudier la flexibilité, la reconversion de certains espaces, pour étendre les capacités des hôpitaux sur eux-mêmes : des parvis, des parkings transformés en centre de tri, des services d’urgence reconfigurés, des salles de réveil pour accueillir les lits de réanimation, etc. Ces solutions « d’architecture capable » constituent des acquis précieux pour nos futurs projets.

Parallèlement, les concepts de structures hospitalières préfabriquées, existant de longue date, pourraient susciter un regain d’intérêt. Tout en répondant à l’urgence, ces structures stéréotypées réduisent la complexité architecturale. Difficile d’y voir davantage qu’un « pansement architectural ». Leur principal intérêt réside néanmoins dans leur capacité à ouvrir la voie à un bouleversement de nos modes constructifs sur la base d’une industrialisation des process et d’une véritable « construction hors site décarbonée » avec un objectif de rapidité, mais surtout de plus grande qualité, notamment environnementale. Il faut donc persévérer sur ces solutions et les amener à répondre à une équation plus complexe que celle de la seule « urgence » en intégrant pleinement les enjeux architecturaux et environnementaux. Et surtout, la nouvelle réglementation énergétique qui entre en vigueur en 2021 (faible empreinte carbone sur l’ensemble de la durée de vie du bâtiment, forte efficacité énergétique, préservation de la biodiversité) seront les minima requis pour construire. En second lieu, l’architecte doit accepter aujourd’hui une exigence de sobriété accrue qui impose de « construire moins ». À l’échelle urbaine, cela se traduit par : la recomposition de la ville sur la ville, la réduction des déplacements (la crise Covid, là aussi, nous ouvre les yeux), une meilleure maîtrise de l’étalement urbain et l’arrêt de l’artificialisation des sols. À l’échelle du bâtiment, c’est bien sûr la priorité au réemploi et à la réhabilitation : faire avec le « déjà là ». Le pendant de cette sobriété est le retour à une proximité vertueuse. Elle intègre les réflexions d’une vision moins anthropocentrée, prenant en compte toutes les échelles d’aménagement : du paysage, en passant par l’architecture, pour arriver au patient. La santé n’échappe à cette recherche de « circuits courts » qui refonde tous les programmes : services, commerce, logistique, gestion des déchets… Ces 25 dernières années, les cliniques de centre-ville se sont regroupées au sein d’hôpitaux privés installés en périphérie d’agglomération. Elles y trouvent un foncier plus large, moins cher, capable d’accueillir et de mutualiser des compétences et des équipements médicaux lourds. Mais la proximité qu’exige la sobriété, la spécialisation, l’accès à distance à des installations médicales de haute technologie, questionne à nouveau ce mouvement urbain. Plus les hôpitaux s’ouvrent sur la ville et plus ils retrouvent une relation apaisée avec le territoire. Hier, nous allions à l’établissement de santé, demain, c’est lui qui reviendra vers nous, chez nous et dans notre quartier. L’hôpital de demain sera présent au domicile de chacun, dans l’espace public, dans les structures existantes à réhabiliter, dans des maisons de santé et de quartier, dans les centres de soins de suite et de réadaptation, et enfin dans les centres médicaux dédiés au traitement et à l’accompagnement lourd. Cette proximité qui nous conduit jusqu’au domicile de chacun, c’est enfin la question d’une santé « sur mesure », appropriable, et de l’architecture qui va avec. Puisque la santé est un « état de complet bien-être physique, mental et social », il est nécessaire de mettre toutes ces dimensions de l’individu au centre du projet architectural. Il est bon de rappeler cette évidence qui s’éloigne à mesure que la complexité des projets augmente. L’approche des personae appliquée à la vulnérabilité des patients et soignants permet de sortir de la logique d’un parcours unique « standardisé » et vient nourrir l’architecture dans son programme, mais aussi dans sa relation au territoire. Rappelons-nous surtout que la « ville de demain » se nourrit d’expériences déjà à l’œuvre, de combats menés de longue date par de nombreux professionnels du secteur de la construction. Il faut persévérer plus que réinventer. Il ne s’agit pas de substituer une doctrine à une autre. Les incertitudes avec lesquelles il faut désormais composer commandent de définir plutôt des attitudes que des recettes, des processus méthodologiques partagés – entre architectes, urbanistes, paysagistes, professionnels de la santé, des sciences humaines, du champ politique, des territoires… – et engagés pour l’amélioration de notre cadre de vie commun. Il n’y a pas de plan B pour la planète !


Article issu du nouveau numéro de Business Immo Global.

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