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Matthias Navarro, Redman

La ville bas carbone est-elle réservée aux riches ?

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Le bas carbone est au cœur des stratégies de (presque) tous les acteurs du développement de la ville de demain. Les ressorts économiques, fiscaux et réglementaires actuels semblent pourtant condamner la ville bas carbone à n’exister que dans les villes et quartiers les plus riches de notre territoire, très loin du caractère général et inclusif nécessaire pour que cette réponse aux défis climatiques et sociétaux soit efficace. Nous ne sommes pourtant pas condamnés à développer des villes bas carbone à plusieurs vitesses.

Alors même qu'il n'y aura pas de ville bas carbone sans développement important de réseaux urbains de chaleur et de froid auxquels les immeubles actuels et futurs devront massivement être reliés, comment envisage-t-on le développement et le financement de ces réseaux en dehors de quelques centres-villes privilégiés qui ont pu, au bénéfice notamment d'un parc immobilier tertiaire important, bénéficier de la création de ce type d'équipement ? 

Alors même qu'il n'y aura pas de ville bas carbone sans que ses habitants se tournent comme un seul homme vers les mobilités décarbonées et collectives au détriment des mobilités individuelles (électriques ou non) ; comment envisage-t-on le développement et le financement de ces infrastructures et de centaines de milliers de kilomètres de voies apaisées, en dehors de quelques centres-villes privilégiés qui, souvent au bénéfice de la crise sanitaire, ont récemment accéléré sur le sujet ?

Alors même qu'il n'y aura pas de ville bas carbone sans généraliser la rénovation globale de tous les logements existants puisque 90 % du parc immobilier actuel le nécessite en vue de respecter la SNBC 2050, comment envisage-t-on le financement annuel des 15 à 18 Mds€ nécessaires à cette ambition et la réalisation de ces millions de chantiers, en dehors de quelques centres-villes privilégiés où les prix sont si élevés que ce lourd investissement demeure rentable ?

Enfin, alors même qu'il n'y aura pas de ville bas carbone sans interdire les constructions neuves qui ne respecteront pas un haut niveau d'absorption carbone (pour le dire simplement, les bâtiments passifs et frugaux), comment envisage-t-on de pouvoir financer ce type de constructions (bien plus chères que les constructions actuelles hors des clous malgré la RE2020) en dehors de quelques centres-villes privilégiés où l’affolement des prix de vente rend ce surcoût presque insensible ? 

Le défi auquel notre industrie est confrontée est de sortir le bas carbone de Paris et des quartiers huppés de quelques métropoles régionales au marché immobilier florissant. Avec un prix moyen en France qui s’établit à 2 500 €/m2, cette bataille s’annonce rude. Tous les acteurs la fabrique de la ville sont invités à y prendre leur place. Et certains « totems » vont devoir être discutés.

Le rôle des pouvoirs publics locaux, régionaux et nationaux, y sera central tant il est évident que rien ne se passera – quoiqu'il en soit pas assez vite – sans un interventionnisme démultiplié. C’est au cœur du foncier bâti ou non (propriété, détention, vente, construction et fiscalité des cessions y compris des résidences principales…) qu’une grande partie du problème et des solutions se trouvent. 

Et les initiatives sur la table sont légion. Territorialiser les règles et les aides en fonction de l’état réel du marché immobilier local afin de favoriser ces villes où participer activement à l’effort imposé par la SNBC 2050 n’a actuellement aucun sens économique paraît être une solution de bon sens. Mais aussi, adopter la non-constructibilité de principe pour les terrains nus, la constructibilité additionnelle pour les projets les plus vertueux, la taxe d’aménagement réduite, la TVA à taux réduit à l’achat et à la vente, l’augmentation des plafonds d’aides pour diminuer les restes à charge en rénovation globale, la structuration des filières de matériaux biosourcés, l’organisation de filières hyper locales pour construire de manière vertueuse à coût réduit ou encore l’obligation du réemploi. 

Construire en bois à Bordeaux ou transformer un immeuble de bureaux en logements à Paris, c’est bien. Mais c’est un jeu d’enfants comparé à l’immense défi de parvenir à systématiser cette démarche sur l’ensemble du territoire.

La ville bas carbone est loin d’être sortie des quartiers chics.

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