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Par Thibault Jézéquel, avocat, directeur services financiers chez Deloitte|Taj, société d’avocats

Sociétés de gestion immobilières : la supervision étroite de l’Autorité des marchés financiers

À la faveur du dynamisme de création de nouveaux véhicules et de sociétés de gestion dans le secteur de l’immobilier, ce dernier a inévitablement attiré l’attention de l’Autorité des marchés financiers (AMF). La vigilance du régulateur s’est illustrée ces derniers mois, d’une part, par la fixation de priorités de supervision et des campagnes de contrôles portant spécifiquement sur ces professionnels (1), d’autre part, par l’accélération du nombre de sanctions prononcées et transactions homologuées concernant des acteurs emblématiques du secteur (2). Analyse.

AMF © Business Immo

S’il convient de se garder de toute conclusion hâtive, les Sociétés de gestion de portefeuille (SGP) auraient tout intérêt, dans leur ensemble, à tirer profit de cette séquence pour mener une revue de la robustesse de leurs dispositifs internes et les ajuster, le cas échéant. En effet, si les dernières sanctions et transactions concernaient des SGP aux activités essentiellement dédiées à une clientèle de détail, les acteurs visant exclusivement une clientèle professionnelle auraient tort de se détourner des enjeux liés à cette supervision. Tant les thématiques de contrôle que certains griefs reprochés s’avèrent pertinents, indépendamment de la typologie des SGP précitées.

Les griefs récemment caractérisés à l’encontre de SGP étaient principalement les suivants :

  • non-respect du programme d’activité, des conditions de l’agrément et des procédures internes (exemple : non-respect du processus d’investissement) ;
  • absence d’établissement et de maintien d’un dispositif de contrôle interne et de conformité approprié (exemple : caractère lacunaire et peu opérationnel de procédures internes) ;
  • défaillances des dispositifs de gestion des conflits d’intérêts (exemple : défaut d’actualisation du registre des conflits d’intérêts) ;
  • carences dans l’encadrement des dispositifs de commercialisation et d’information vis-à-vis de la clientèle (exemple : communication d’informations peu claires, inexactes ou trompeuses) ;
  • défaillances des dispositifs de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (exemple : absence de collecte d’une partie des informations relatives à la connaissance des clients) ;
  • insuffisances relatives à la traçabilité des travaux de l’évaluateur indépendant dans le cadre du processus de valorisation (exemple : défaut de cohérence des méthodes d’évaluation retenues pas les experts indépendants) ;
  • manquement de diligence et de loyauté à l’égard de la mission de contrôle de l’Autorité des marchés financiers (AMF) (exemple : délais excessifs dans les réponses aux demandes des contrôleurs).

Ces développements appellent plusieurs observations.

Tout d’abord, il ressort clairement de la lecture de ces sanctions et transactions que le régulateur s’est focalisé, en particulier, sur certaines thématiques considérées comme particulièrement sensibles. Si une partie d’entre elles fait écho à des thématiques traditionnelles de l’AMF, tous secteurs confondus (défaillances des dispositifs de contrôle interne, de commercialisation et d’information vis-à-vis de la clientèle), d’autres trouvent une résonnance plus particulière vis-à-vis des acteurs du secteur immobilier. C’est le cas, notamment, des griefs portant sur la mise en œuvre effective des dispositifs de gestion des conflits d’intérêts inhérents aux activités de gestion immobilière et à l’organisation de certains groupes.

Ensuite, l’interprétation de la teneur des sanctions prononcées et des engagements pris récemment requiert une certaine prudence. Pour rappel, l’AMF peut tenir compte, pour la détermination de ses sanctions et l’homologation de ses transactions, d’une multiplicité d’éléments tels que : la gravité et la durée des manquements, la qualité et le degré d’implication des personnes en cause, la situation et la capacité financière de la personne en cause, l’importance des gains ou avantages obtenus ou pertes ou coûts évités par la personne en cause, les pertes subies par des tiers du fait du manquement, le degré de coopération avec l’AMF, les manquements commis précédemment par la personne en cause et toute circonstance propre à la personne en cause3. Plusieurs observateurs ont d’ailleurs souligné que les sommes et sanctions pécuniaires récentes étaient relativement raisonnables au regard de la surface financière des acteurs concernés, soulignant par la même occasion les impacts plus conséquents liés au risque de réputation.

En pratique, dans le cadre des derniers contentieux devant l’AMF, on peut constater que les éléments suivants ont été retenus par cette dernière pour modérer sa sanction : réalité des mesures correctrices mises en œuvre en regard des griefs notifiés, renforcement des moyens humains et techniques, mises à jour de procédures, montants consacrés aux mesures correctrices, absence de profits tirés des manquements, mandat donné à un cabinet externe pour accompagner la mise en œuvre des mesures correctrices. À l’inverse, le régulateur a considéré les éléments suivants comme constitutifs de circonstances aggravantes : nombre élevé de manquements retenus, gravité des manquements, clientèle non professionnelle visée par les actes litigieux, poursuite des pratiques litigieuses suite à la notification des griefs.

Enfin, il convient de relativiser l’épisode actuel en ce que les SGP ne paraissent pas davantage sanctionnées que les sociétés de gestion intervenant dans d’autres classes d’actifs. Toutefois, la jeunesse d’un nombre conséquent d’acteurs de la gestion d’actifs immobilière, la concentration limitée du secteur et la vigueur de la croissance des encours favorisent nécessairement l’approche actuelle retenue par l’AMF à l’encontre des sociétés de gestion immobilières4.


1 « Valorisation et liquidité des fonds immobiliers », priorité thématique de supervision en 2021 et qui sera traitée dans le cadre d’une campagne de contrôles SPOT et « Externalisation au sein d’un groupe de certaines prestations immobilières et conflits d’intérêts potentiels liés », priorité thématique de supervision en 2019 et qui a été traitée dans le cadre d’une campagne de contrôles SPOT.

2 Exemples : décisions de sanction SAN-2021-12 du 2 juillet 2021, SAN-2021-07 du 29 avril 2021, SAN-2019-15 du 19 novembre 2019, SAN-2019-11 du 25 juillet 2019, accords de composition administrative TRA-2020-12 du 10 juillet 2020, TRA-2020-04 du 17 janvier 2020.

3 Article L.621-15, III ter du Code monétaire et financier.

4 La rédaction de cet article a été achevée au 19 juillet 2021.


Article issu du numéro 178 de Business Immo Global.

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