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Point de vue d'Emmanuel Launiau, Quartus

Pour des États généraux du logement

Emmanuel Launiau. © Cécile Burban

Ce serait donc une affaire réglée. Les logements construits en Île-de-France depuis 20 ans sont de moins bonne qualité. À la diminution de la taille des chambres, à l’ouverture des cuisines, à la réduction des espaces de rangement, un responsable est désigné : le promoteur immobilier. Il serait celui qui réduit le logement à un produit financier en oubliant que sa mission est de loger le plus grand nombre dans des espaces de vie de qualité. La caricature est grossière et les commentaires que suscite la sérieuse étude menée par les équipes d’Idheal auraient sans doute ravi l’anthropologue René Girard, lui qui a tant décrypté la logique du bouc émissaire.

Au passage, on stigmatise cette profession à un moment où tous les acteurs de la chaîne de production de la ville sont devenus généralistes, chacun exerçant tour à tour les métiers d’aménageur, de foncière, et de promoteur, et on oublie que ce dernier est devenu en France le premier producteur de logements sociaux.

Oui la qualité d’habitation n’est pas un ressenti et elle peut s’objectiver. Lumière, espace, volume, habitabilité, qualité d’usage, espace de rangement, espace extérieur, orientation, qualité de l’air, acoustique… sont autant d’éléments qui font qu’un logement est agréable à vivre ou non. Si cette étude dresse une photographie sans concession, elle a le mérite de poser le débat sur ce qui produit de façon mécanique une moindre qualité dans un logement. Le tout est de ne pas tomber dans la caricature.

Un système de production en rupture

Le système de production du logement en France ne sert pas toujours la qualité d’habiter. Ce n’est pas s’exonérer que le reconnaître. Nous sommes dans un marché ouvert et le déséquilibre entre l’offre qui reste bien inférieure à la demande dans les grandes métropoles, alimente un enchérissement qui n’est bon pour personne.

Les prix augmentent, la capacité d’emprunt n’est pas extensible et, mécaniquement, les acquéreurs paient cher une surface plus petite qui finit par rogner certains usages, même si elle s’accompagne dans le neuf d’espaces extérieurs ou de parkings en sous-sols, autant d’atouts que ne propose pas souvent l’ancien.

Aujourd’hui, la qualité de la production des logements n’est pas dissociable de celle de la superficie. Autrement dit, c’est bien le prix de vente qui conditionne la taille et la qualité du logement. Ce mécanisme est connu et malheureusement, nous nous y noyons.

Pourtant nous connaissons et partageons ces blocages. D’abord un coût du foncier trop cher qui contraint d’emblée le projet censé s’y fabriquer. Quand le prix du terrain pèse 40 % (voire jusqu’à 50 % à Paris !) du prix de vente, c’est le programme immobilier lui-même qui est contraint de s’adapter. Le foncier n’est pas rare dans les grandes villes, il est cher. Cher à transformer, cher à recycler de ses usages précédents pour permettre de réparer et régénérer la ville rendant ainsi plus complexe la production de logements pour tous, la limitation de l’étalement urbain et le retour de la nature en ville. Une vraie politique publique foncière dans les zones dites tendues devrait permettre de rééquilibrer un marché devenu de pénurie.

Car finalement l’augmentation des prix de vente des logements en France a profité en premier lieu, pour ne pas dire exclusivement, aux propriétaires fonciers, qu’ils soient publics ou privés. Rares sont encore les consultations à prix de cession foncière fixe, limitant la spéculation en contrepartie d’un effort supplémentaire demandé aux opérateurs sur l’innovation, la qualité d’usage attendue et l’empreinte carbone du projet.

Ensuite, le temps de fabrication d’un projet urbain s’est considérablement allongé. Si le temps démocratique de participation, de débats et de concertation est essentiel et utile, les temps réglementaires et administratifs de procédures ou de délivrance des permis ont doublé en 20 ans, avec des potentiels de constructibilité réduits. Le PLU (plan local d’urbanisme) qui fixe les règles de constructibilité d’une parcelle n’est plus un droit, mais est devenu un maximum pour les élus, alors qu’il est déjà l’expression d’une volonté politique et que l’instruction d’un permis de construire, au regard de ses règles, devrait être purement mécanique. Cet allongement des durées de production de l’offre en France participe lui aussi à l’augmentation des prix et donc à la réduction des surfaces et de la qualité des logements.

Enfin, l’empilement de normes et de réglementations a contribué à baisser la qualité d’usage des logements en réservant trop de surfaces à un usage trop faible, ou encore en limitant leur confort. En illustration, la réglementation handicapée et l’augmentation démesurée des surfaces des toilettes ou encore la réglementation thermique et la réduction des surfaces vitrées dans les logements.

L’État s’apprête à nouveau à réglementer sur l’accroissement des surfaces et les volumétries des logements, quand de leur côté les collectivités veulent réglementer sur la réduction des hauteurs d’immeubles et de la densité urbaine ; le résultat est écrit d’avance, ce sont les concitoyens, nos clients, qui paieront leurs logements encore plus chers en zone dense, là où déjà les prix ont déjà considérablement augmenté, désolvabilisant déjà une large partie de la population et précarisant les plus fragiles.

Une autre alternative ?

Est-on à ce point englué dans ces injonctions contradictoires ? L’étalement urbain a crû trois fois plus vite que la population, comme le démontre si bien Sylvain Grisot quand il parle d’urbanisme circulaire. On veut zéro artificialisation nette mais ne pas construire en ville. On veut bien construire mais pas en face de chez soi. On veut bien de la nature en ville, mais sans densité et sans libération d’espace au sol… et pourtant il faut bien loger les gens.

Le ressort est-il (encore) de légiférer pour déterminer ce qui est de qualité et ce qui ne l’est pas ou au contraire d’accorder un peu plus de liberté pour construire mieux avec plus d’audace ? Cette habitude française de rajouter de la prescription à tous les maux n’est peut-être pas le meilleur moyen de hisser le niveau de qualité d’usage. Quant à savoir si c’est à la puissance publique de définir ce qui est de qualité et ce qui ne l’est, la question pourrait être posée. Si les chartes territoriales sont prises pour une opportunité de fabriquer une ville plus belle, l’enjeu est de laisser de la liberté pour proposer, imaginer, innover, rendre possibles différentes manières d’habiter. La qualité exige une expertise, elle demande aussi de la confiance. De la confiance aux architectes qui pensent des espaces évolutifs pour que les gens s’en emparent. Aux promoteurs qui conçoivent et construisent des lieux de vie adaptés à leurs clients. Aux habitants qui devraient avoir le choix de faire eux-mêmes chez eux, de privilégier une « family room » à des grandes chambres, un salon ouvert à une cuisine fermée ou l’inverse.

Des États généraux du logement

Le logement est le premier poste de dépenses des ménages et bien souvent le projet de toute une vie. Les besoins sont immenses et l’urgence est là.

Il serait temps que nous partagions enfin ce que nous attendons de la production de logements en France et de la vie qui s’organise autour.

Les villes sont actuellement pointées du doigt, car le compte n’y est plus entre leurs bénéfices : l’accès aux soins, à l’école, à un emploi, la culture, les loisirs… et leurs inconvénients : le manque de nature, de qualité de l’air, l’éloignement entre son logement et son travail, les transports bondés, le trafic bloqué, les prix… il faut redonner goût à vivre ensemble en ville.

Organisons ensemble des États généraux du logement ! Citoyens, élus, puissance publique, promoteurs, opérateurs urbains, architectes, chercheurs, acteurs économiques et sociaux, établissons les lignes de force communes au soutien d’une politique et des acteurs qui veulent s’investir pour réparer ces déséquilibres et participer enfin à fabriquer une ville belle et désirable.