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Juliette Pinard, docteure en urbanisme et en aménagement de l’espace

L’urbanisme transitoire, miroir des évolutions de la fabrique de la ville

Depuis ces cinq dernières années, les projets d’occupation temporaires développés au sein d’espaces vacants se sont multipliés dans les grandes métropoles françaises. Qualifiés depuis 2016 par le terme d’urbanisme transitoire, ces projets temporaires sont associés à la capacité d’initier, de préfigurer et d’accompagner la transformation de sites en attente de mutation en amont des projets urbains.

En partenariat avec Laboratoire d'Initiatives Foncières Territoriales Innovantes

© Rassco / Adobe Stock

La notion récente d’urbanisme transitoire est incarnée par plusieurs lieux devenus emblématiques, à l’instar des Grands Voisins, de Ground Control, de la Cité Fertile ou encore de la Station Gare des Mines. La notion d’urbanisme transitoire qualifie des initiatives très différentes, tant en termes de temporalité, d’activités accueillies que de porteurs de projets.

Fortement médiatisée, elle fait l’objet d’un engouement croissant auprès des acteurs publics et privés de la production urbaine. Objet flou et mouvant, l’urbanisme transitoire est investi d’une pluralité de valeurs et d’enjeux par les acteurs impliqués dans ces démarches (propriétaires, collectivités, professionnels de l’occupation temporaire…). Dans ce contexte, la thèse de Juliette Pinard* s’intéresse à l’appropriation des démarches d’urbanisme transitoire par les professionnels de l’urbanisme et de l’immobilier. Elle mobilise plus largement cette notion comme un prisme d’analyse permettant de mettre en lumière l’évolution des modalités de fabriquede la ville, la transformation de ses acteurs et la mutation des espaces urbains.

Cette recherche porte particulièrement sur la démarche d’urbanisme transitoire développée par SNCF Immobilier, structure en charge de la gestion et de la valorisation du vaste patrimoine foncier et immobilier de la SNCF, et acteur pionnier dans la diffusion de cette pratique au sein des grands propriétaires. D’une démarche à l’origine expérimentale, l’urbanisme transitoire s’est structuré au sein de SNCF Immobilier en une nouvelle activité d’entreprise, porteuse d’enjeux stratégiques et opérationnels en amont des projets urbains.

Dans ses travaux de thèse, Juliette Pinard a dans un premier temps analysé et recontextualisé l’émergence de la notion d’urbanisme transitoire. En effet, si cette dernière est récente, elle s’appuie sur des pratiques anciennes et s’inscrit dans la lignée de différents héritages, allant des squats artistiques aux friches culturelles, de l’avènement de la ville festive et événementielle jusqu’à la prise en compte de la question du temps comme donnée clé en aménagement, mais aussi sur des concepts comme les tiers-lieux, la permanence architecturale et la théorie des communs. Le développement de l’urbanisme transitoire s’inscrit dans la continuité d’une évolution des modes de conception des projets urbains, dans un contexte de montée des incertitudes en aménagement, conduisant à la valorisation des formes d’improvisation, d’expérimentation et d’urbanisme tactique. L’émergence de nouveaux entrants dans le milieu des professionnels de la ville participe à renouveler les pratiques, à l’instar des nouveaux acteurs de l’occupation temporaire,jouant un rôle direct dans le développement de l’urbanisme transitoire. Au sein même de grands propriétaires immobiliers comme la SNCF, la mise à disposition temporaire de certains biens vacants auprès d’artistes est une pratique occasionnelle et spontanée initiée dès les années 1990, en attestent des lieux comme les Frigos ou le Shakirail à Paris.

Toutefois, si l’occupation temporaire est issue de pratiques spontanées et informelles, la thèse de Juliette Pinard démontre que le développement de l’urbanisme transitoire marque son basculement dans des logiques urbanistiques et immobilières. Ces occupations temporaires sont désormais des projets en soi, des démarches programmées et intégrées dans le processus de développement urbain, initiées par de nouveaux professionnels, en lien étroit avec les acteurs classiques de la production urbaine. Au sein de SNCF Immobilier, la mise en oeuvre de ces projets complexes nécessite de dépasser certaines difficultés à la fois techniques, juridiques, économiques, organisationnelles et politiques. Le développement de cette nouvelle activité nécessite une adaptation des pratiques professionnelles de ses salariés, mais aussi une évolution des représentations associées à ces usages temporaires. Levier de transformation organisationnelle et de recomposition interne, l’urbanisme transitoire accompagne une évolution des métiers, la promotion de nouveaux modes d’organisation flexibles et transversaux au sein de SNCF Immobilier, et participe à la structuration de son projet d’entreprise.

Enfin, Juliette Pinard démontre que l’urbanisme transitoire devient pour SNCF Immobilier un outil opérationnel intervenant à différents moments du projet urbain, soutenant ses missions de gestion et de valorisation du patrimoine immobilier et foncier du groupe SNCF. C’est un outil d’accompagnement du projet et de facilitation de sa mise en oeuvre, dans un contexte d’incertitude, de valorisation des démarches de projets négociées et du storytelling dans la production urbaine. Finalement, l’importance donnée par SNCF Immobilier à l’urbanisme transitoire révèle les changements en cours au sein de l’organisation, la recherche de sens et l’évolution de son action sur le temps long, à l’aune de crises (sociales, économiques, écologiques…) impactant plus largement le monde de l’urbanisme et de l’immobilier. Cette recherche de sens dans l’action se traduit par une nouvelle évolution de la notion, à travers le passage de la notion de transitoire à celle d’urbanisme de transition. Ces projets temporaires engagent les acteurs à l’origine de ces démarches dans un questionnement réflexif sur leurs propres pratiques, faisant de l’urbanisme transitoire un outil d’apprentissage et de renouvellement des méthodes en urbanisme et en immobilier.


*Docteure en urbanisme et en aménagement de l’espace, Juliette Pinard étudie le développement de l’urbanisme transitoire comme prisme d’analyse du renouvellement des modalités de fabrique de la ville. Durant trois ans, elle a adopté une posture de chercheuse-praticienne au sein de SNCF Immobilier, dans le cadre d’un dispositif Cifre avec le Laboratoire techniques territoires sociétés (Latts). Elle a rejoint la direction de l’ingénierie du Centquatre-Paris en 2021 et continue de tisser des liens entre milieu académique et mondes industriels, dans le cadre de ses missions de conseil auprès de collectivités, d’aménageurs et de promoteurs.


Article issu du numéro 179 de Business Immo Global.

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