Business Immo, le site de l'industrie immobilière
Par Alix de La Gaignonnière

Loi Malraux : les oraisons funèbres des centres historiques en décroissance

Nous fêtons cette année les 60 ans de la loi complétant la législation sur la protection du patrimoine historique et esthétique de la France et tendant à faciliter la restauration immobilière, dite Malraux. Cette dernière instaure en 1962 les secteurs sauvegardés, premier régime au monde de protection d’ensembles urbains. Au regard de la ruine des centres historiques des villes petites et moyennes aujourd’hui en France, force est de constater l’échec des dispositifs de protection du patrimoine instaurés par la loi Malraux.

En partenariat avec Fondation Palladio

La vacance résidentielle dans les Sites patrimoniaux remarquables (SPR) en décroissance © Source : Données Iris de l’Insee.

Rappelons tout d’abord que la loi Malraux est votée alors que la France connaît l’essor économique des Trente Glorieuses. Sur le modèle des politiques de renouvellement urbain, la loi prévoit alors au travers de la création des secteurs sauvegardés d’assurer la conservation et la transmission du patrimoine par un cadre administratif par une incitation économique (remboursement du déficit d’opération de rénovation, devenu en 1977 une défiscalisation sur le montant des travaux). C’est cette structure et ces outils dont héritent  aujourd’hui les Sites patrimoniaux remarquables (SPR) qui deviennent le régime unique de protection du patrimoine urbain en 2016. La loi Malraux inaugure en fait un « contrat patrimonial » (La Gaignonnière, 2021) : l’incurie de l’État dans la propriété privée se fait en contrepartie d’une valorisation économique du bâtiment, par sa valeur foncière comme par les rentes qu’il dégage par sa location.

Des centres historiques protégés majoritairement en décroissance

Force est pourtant de constater que ce contrat patrimonial se rompt dans les territoires en décroissance. Ces derniers connaissent des problèmes sociaux, économiques et budgétaires, dont la baisse démographique est un indicateur (Fernandez et al, 2012) et les centres historiques se trouvent particulièrement vulnérables à ces phénomènes. Plus de la moitié (52,9 %) des Sites patrimoniaux remarquables qui comprennent un centre historique sont aujourd’hui en décroissance et leur nombre a progressé de près d’un tiers (29,1 %) depuis 2006. Ces chiffres suggèrent que la décroissance des centres historiques n’est plus guère un phénomène marginal. La course à l’emploi, la décentralisation et le défaut de politique d’aménagement stratégique depuis 40 ans, les ont conduits à devenir des quartiers peu attractifs, sans commerces ni services publics pour contrebalancer une morphologie urbaine et architecturale souvent compliquée. Dans une telle compétition, les bourgs et les petites villes de moins de 20 000 habitants sont les plus lourdement affectés. Marginalisés par la métropolisation des investissements publics et privés, ils représentent aujourd’hui 73,4 % des SPR en décroissance.

Des sites patrimoniaux remarquables (SPR) de plus en plus en décroissance

SPR en décroissance : min. -0,2 % de leur population d’une année à l’autre ; SPR en croissance : min. +0,2 % ; SPR en stagnation : entre -0,2 et 0,2 %. © Source : Données Iris de l’Insee

La rente immobilière, un socle bancal de la conservation

Le meilleur moyen de conserver un monument est de lui trouver une fonction. La décroissance des SPR affecte cependant directement ce pour quoi ils ont été créés : faute d’occupants, les bâtiments des centres historiques en décroissance se dégradent rapidement, parfois jusqu’à la ruine ou l’effondrement. Cette dégradation du cadre urbain affecte directement l’attractivité des centres historiques : aujourd’hui, 45,5 % des SPR en décroissance accusent une vacance supérieure à 15 % et n’étaient que 19,3 % en 2006.

Le système de défiscalisation mis en place par la loi Malraux semble atteindre ses limites. En déséquilibrant l’offre et la demande, la progression de la vacance résidentielle affecte la valeur foncière en centre-ville. Les défiscalisations Malraux, basées sur un investissement locatif, n’ont plus guère de sens dans ces quartiers peu attractifs où le coût des travaux (structurellement plus élevé en centre historique qu’ailleurs) n’est plus absorbé par la plus-value foncière. Ces défiscalisations, économiquement très sélectives, questionnent d’autant plus qu’elles n’intéressent qu’une tranche réduite de la population et excluent de fait les propriétaires occupants qui, par ailleurs, n’arrivent généralement plus à supporter les coûts d’entretien.

Refonctionnaliser les centres historiques

En France, l’État est le garant traditionnel de l’intégrité et de la transmission du patrimoine, constitutif de notre construction nationale (Leniaux, 1992). La décroissance des centres historiques est un phénomène structurel et en progression et témoigne d’un lâcher-prise des politiques d’aménagement stratégique en faveur de politiques fiscales de moins en moins efficaces. N’est-il pas venu le temps de refonctionnaliser les centres anciens par des services publics (tribunaux, hôpitaux, universités, etc.), par des aides à la pierre plus justes et par une démétropolisation de l’action publique  ? Face aux profonds changements économiques, sociaux et climatiques qui nous attendent, l’enjeu est de taille. Le patrimoine de centre-ville représente tout autant une ressource mémorielle pour la cohésion sociale qu’un moyen de produire une ville durable en limitant son impact sur les écosystèmes.

Alix de La Gaignonnière

Architecte-urbaniste et géographe, Alix de La Gaignonnière est actuellement chercheur doctoral à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm (Centre Jean-Pépin), où il enseigne l’aménagement au département de géographie. Ses recherches portent sur la gestion du patrimoine urbain, sur les pratiques d’aménagement des villes petites et moyennes, sur les dynamiques liées à la décroissance urbaine ainsi que sur la pauvreté en milieu rural. Sa recherche doctorale est soutenue par la Fondation Palladio et par l’École française de Rome.

© DR


Article issu du numéro 183 de Business Immo Global.

Pour consulter le numéro dans son intégralité, cliquez ici

Business Immo