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Par David Lucot

La programmation urbaine à l’épreuve des rythmes du vivant

À un moment où un million d’espèces animales et végétales semblent menacées d’extinction et alors que la moitié de la population mondiale vit désormais dans des villes, il semble indispensable de prendre en compte la biodiversité et les rythmes du vivant dans la production et l’aménagement des villes (Rapport de l’ONU sur la biodiversité, 2019) en associant une ingénierie écologique qui devienne un réel projet de conciliation entre humains et non humains (Frascaria-Lacoste, 2010).

En partenariat avec Fondation Palladio

© Melinda Nagy / Adobe Stock

La programmation urbaine est une discipline qui apparaît en France dans les années 1970. Un programme annonce et décrit les diverses actions d’un événement à venir (Allégret, Mercier, Zetlaoui-Léger, 2005), il détaille l’organisation d’une mission. En urbanisme, elle apparaît, en théorie, en amont de la phase de conception du projet urbain. Elle a pour but de définir et de structurer un certain nombre de paramètres avant la formalisation spatiale. Elle identifie les besoins, repère les contraintes et constitue les bases du projet en fixant au préalable les objectifs de l’opération (Cerema, 2017). C’est une discipline à part entière qui a mis du temps avant d’être reconnue comme telle. Sa professionnalisation a été favorisée par la réforme de l’ingénierie publique et la loi sur la maîtrise d’ouvrage publique (MOP) de 1985.

Nature et environnement, les oubliés de la programmation urbaine

Cette compétence a souvent été appropriée par les architectes-urbanistes. Ce n’est qu’après la loi MOP que la programmation va s’émanciper et obtenir une place indépendante du champ de la conception dans le domaine de l’urbanisme. Toutefois, cette loi, qui a déterminé les différentes missions attribuées à la maîtrise d’œuvre et la relation entre ces deux acteurs principaux, est aujourd’hui critiquée. Elle a très peu changé depuis sa promulgation. Beaucoup de paramètres comme la prise en compte de la biodiversité par exemple, ne sont pas assez intégrés. Mais le plus important est sans doute que le programme est encore quelque chose de « figé », incapable de s’adapter à l’environnement. Même si les sciences sociales s’y intéressent désormais pour tenter de transformer la pratique (Buffat, Meunier, 2014), il n’évolue pas et ne prend pas en compte les différentes temporalités « vivantes » qu’il va impacter.

Si la présence d’espaces verts en ville a augmenté en France comme à Paris, où leur nombre a triplé entre 1900 et 2017 (Apur, 2018), où de manière plus générale la surface dédiée aux espaces verts par habitant a augmenté de 3 m² depuis 2017 (Observatoire des villes vertes, 2020), pour autant, un mal-être urbain persiste, mis notamment en lumière par la crise sanitaire. Il est pourtant évident que la nature en ville favorise le bien-être des citadins (OMS, 2016), ses bienfaits sont multiples. Toutefois, les signes du malaise urbain (stress, anxiété, dépression...) ne manquent pas et ne s’amenuisent pas, au contraire (Mutualité française, 2021).

Savoir se reconnecter à la nature

La biodiversité est rarement considérée, en dehors de sa qualité d’agrément (Henri, Frascaria-Lacoste, 2012), dans le cahier des charges du projet urbain. Or, cette biodiversité doit aussi être intégrée pour les services écologiques qu’elle fournit (Fleury, Prévot, 2017). Il nous faudrait donc adapter nos modes de vie contemporains en considérant les dynamiques et les rythmes de la biodiversité afin de se reconnecter à la nature (Frascaria-Lacoste, 2014) et ainsi apprécier pleinement la présence des arbres dans notre environnement (Guez, Subrémon, 2013).

Les temporalités urbaines sont complètement déconnectées des cycles de la biodiversité. La ville contemporaine est un champ de tension et de conflits (Gwiazdzinski, 2013) et semble en mauvais termes avec les rythmes du monde vivant non humain (pollution lumineuse, nuisances sonores, chaleur, burn out…) avec un impact important sur la santé humaine (Ehrenberg, 2008), la biodiversité elle-même et la soutenabilité du système urbain et de l’ensemble de la planète (Gwiazdzinski, 2016). Ainsi, se pose la question de la cohabitation avec l’ensemble du vivant présent en ville (Vincent, 2020).

Une harmonie à trouver entre la ville et les cycles naturels

Aujourd’hui, la programmation urbaine ne considère le temps que principalement pour une chronologie d’opérationnalité et n’envisage pas la biodiversité comme une entité évolutive. Or, en définissant des usages, la programmation peut bouleverser la vie des autres êtres vivants qui peuplent notre environnement urbain en faisant émerger de nouveaux rythmes qui ne s’harmonisent pas toujours avec son environnement.

La ville doit renouer avec les cycles naturels afin de voir la danse de la vie s’organiser et donner lieu à une chorégraphie urbaine intégrant l’ensemble du vivant, c’est-à-dire tout ce « qui vit, qui est en vie ; dont les fonctions de la vie se manifestent de manière perceptible » (définition CNRTL), car le seul étalon de mesure universel est la valeur de la vie. « Si on a souvent aménagé l’espace pour gagner du temps, on a trop rarement aménagé les temps pour gagner de l’espace » (Gwiazdzinski, Grisot, Pradel, 2020) : c’est avec cette idée en tête qu’il faut réfléchir à la ville de demain.

Il est grand temps d’imaginer un urbanisme qui ralentit les rythmes des villes pour le reconnecter à ceux de la nature et garantir le bien-être de l’ensemble des vivants qui les habitent.

David Lucot

Architecte de formation, avec un master 2 spécialisé en Approche écologique du paysage, David Lucot est actuellement doctorant Cifre au Laboratoire de Recherche en Architecture de l’Ensa Toulouse, ainsi qu’au laboratoire Écologie systématique évolution d’AgroParisTech. Sa recherche est partagée avec un temps en entreprise au sein de l’agence de programmation urbaine A et cetera. Ses travaux de thèse portent sur la prise en compte des rythmes du vivant dans la fabrique urbaine. Son doctorat est soutenu par la Fondation Palladio ainsi que par l’Association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT).