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Par Edouard Vitry et Katherine Golding, Addleshaw Goddard

Covid-19 : La High Court britannique favorable aux bailleurs sur les arriérés de loyers

La fermeture des locaux commerciaux imposée par la pandémie du Covid-19 a plongé les propriétaires de nombreux pays dans la difficulté de recouvrer leurs loyers, les locataires ayant choisi de ne plus payer. Si la Cour de cassation française est pour l’heure restée silencieuse sur le sujet, une décision de la High Court of Justice (la Cour suprême du Royaume-Uni), donne aux propriétaires d’outre-Manche plus de raisons d’être optimistes quant à leur chance d’obtenir le paiement des arriérés de loyer.

La décision rendue par la Haute Cour d’Angleterre et du Pays de Galles le 28 septembre 2021 dans l’affaire London Trocadéro (2015) LLP v Picturehouse Cinemas Ltd ([2021] EWHC 2591 (Ch)) a rejeté les deux principaux arguments avancés par le locataire pour justifier le non-paiement du loyer pendant la période de fermeture de son cinéma. En l’espèce, le propriétaire cherchait à récupérer 2,9 millions de livres sterling d’arriérés de paiement.

Dans son premier argument, le locataire soutenait que le contrat devait prévoir une clause implicite dans le bail permettant de suspendre le délai de paiement du loyer durant toute la période pendant laquelle l’utilisation des locaux à usage de cinéma était interdite (ou dont la jauge de fréquentation prévue par les autorités était inférieure au niveau de fréquentation attendu par les parties lors de la signature du bail). La Cour a cependant confirmé que les clauses ne peuvent être implicites que lorsqu’elles sont à la fois nécessaires pour l’efficacité commerciale de l’entreprise et qu’il ne fait aucun doute que les parties l’ont implicitement convenue. En l’espèce, selon la Cour, rien ne permettait de justifier que la répartition des risques convenue par les parties devait être révisée, de sorte qu’il n’y avait pas de raison évidente de faire peser sur le propriétaire la perte découlant d’une période de fermeture. En outre, il n’était pas évident qu’une telle clause ait été implicitement convenue par les parties ; les propriétaires ne garantissent généralement pas que l’usage prévu des locaux par le bail l’est également par la loi, et c’était, en effet, la position qui avait été spécifiquement convenue dans le bail.

Le locataire arguait dans un second temps que le loyer ne pouvait être dû dans la mesure où le propriétaire ne fournissait pas des locaux susceptibles d’être utilisés selon l’usage prévu par le bail. Là encore, la Cour souligne que le bailleur n’avait donné aucune garantie d’usage des locaux, la clause d’usage était rédigée de telle sorte qu’elle interdisait tout usage autre que celui d’activité de cinéma, mais n’obligeait pas réellement le locataire à les utiliser ainsi. L’usage des locaux en tant que cinéma n’était donc pas un élément fondamental du bail et constituait simplement une attente du locataire.

Il résulte de cette décision que, pris ensemble avec la précédente affaire NY Mellon v Cine-UK Ltd and Others ([2021] EWHC 1013 (QB)) du 22 avril 2021, les locataires en Angleterre et Pays de Galles ont désormais peu d’options viables à faire valoir. L’affaire Cine-UK-Ltd avait déjà rejeté un certain nombre d’arguments relatifs aux arriérés, ces derniers allant de l’interprétation plus large de la clause de suspension du loyer afin qu’elle s’applique également en cas de « dommage économique », à l’interdiction pour le propriétaire de réclamer des arriérés au locataire lorsqu’il dispose également d’une assurance de perte de loyer, en passant par la notion de temporary frustration - dont la notion équivalente la plus proche en droit français serait la force majeure, ou de supervening illegality – l’illégalité du contrat.

L’approche du gouvernement britannique pour traiter les arriérés liés au Covid a consisté à mettre sur pied un Code of practice, publié le 19 juin 2020 et mis à jour le 6 avril 2021. Le Code invite les propriétaires et les locataires à communiquer et à se rapprocher afin de négocier des solutions équitables visant à répartir la charge financière entre les deux parties. Ce code n’est toutefois pas contraignant, et laisse aux parties le soin de parvenir à un accord mutuel sans modifier le régime des baux. La Cour a rapidement reconnu ce caractère non contraignant dans l’affaire Cine-UK-Ltd où elle a rejeté l’argument du locataire selon lequel le propriétaire ne pouvait pas le poursuivre en justice sans avoir recherché en premier lieu une solution amiable en suivant le code.

Par ailleurs, le Code a été largement adopté au Royaume-Uni et a conduit à la conclusion d’accord de concessions de loyer, telles que la mise en place de facturation mensuelle plutôt que trimestrielle, des congés et des reports de paiement de loyer, ou encore des renégociations de baux. S’il apparait que la majorité des parties concernées ont tenté de résoudre les difficultés liées au paiement des arriérés par le consensus, l’évolution de la jurisprudence dans ce domaine rassure les propriétaires britanniques et leur octroi un pouvoir de négociation supplémentaire. Pour les parties qui ne sont pas parvenues à trouver un accord amiable, la promulgation du Commercial Rent (Coronavirus) Act 2022 du 24 mars 2022 met en place un processus d’arbitrage juridiquement contraignant visant à encadrer le paiement de ces arriérés.