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Par Jérôme Le Grelle, Mytraffic

Commerce, le grand flou…

© alesmunt / Adobe Stock

Dans un monde d’immédiateté, focalisé sur l’information et le commentaire instantanés, la saison de la publication des résultats de l’année est une bonne opportunité pour prendre un peu de hauteur et mieux se projeter sur la période à venir. Après la tempête provoquée par deux années de pandémie, on attendait avec impatience que les acteurs du monde du commerce et de l’immobilier commercial s’expriment et tracent la ou les voies du futur sur la base desquelles allait se reconstruire notre système de distribution.

On reste cependant un peu déçu – et même perplexe – devant la manière dont ces derniers ont abordé cet exercice : les chiffres de l’année 2019, soigneusement choisis, y sont présentés comme la référence à laquelle il faut se comparer pour dire soit que « tout est un peu moins mal, soit un peu mieux », alimentant sans doute inconsciemment l’idée d’un retour possible à un « comme avant ». Didier Duhaupand, président des Mousquetaires, en commentant les résultats du groupement des Mousquetaires, affirme même que « personne n’a cru à cette histoire du monde d’avant et du monde d’après » ! La vie continue donc, sans qu’il y ait « de mort du carrelage », la pandémie ayant seulement gommé les excès du passé, l’enjeu étant de travailler au plus près des clients, et certainement pas de savoir « s’il faut s’allier avec tel ou tel Gafa ».

Est-ce bien seulement cela ?

Personne, qu’il s’agisse des enseignes, foncières ou investisseurs, n’est vraiment à l’aise pour expliquer les chiffres d’aujourd’hui, surtout en prenant comme référence ceux de 2019 comme s’il s’agissait de l’an 1 de la nouvelle ère du commerce ! En effet, les comparaisons historiques ont été perdues, effacées par deux années de pandémie qui rendent impossible la mesure de l’état de santé réel des protagonistes, pour ceux qui ne sont pas déjà au tapis. Non seulement les chiffres, qu’il s’agisse du trafic ou des chiffres d’affaires, ne sont pas revenus « au niveau d’avant », mais ils se construisent de manière si différente que toute comparaison devient hasardeuse et complique l’analyse, quand elle ne la fausse pas purement et simplement.

Cette obstination à se comparer au monde d’avant montre avant tout la très grande incertitude dans laquelle se trouvent plongés les acteurs de ce marché, rendant toutes projections bien incertaines. Si tous les diagnostics sur l’effondrement de l’ancien système ont bien été faits, la vision du monde de demain et des solutions à mettre en œuvre reste difficile à discerner. Non seulement le contexte conjoncturel vient tendre encore un peu plus la situation, mais la déflagration qui secoue le monde du commerce, de l’immobilier commercial et plus généralement de l’urbanisme, continue de se propager. Elle porte, sans qu’aucun secteur ne soit épargné, sur les questions environnementales et éthiques, l’explosion de la seconde main, les nouvelles proximités, la mise en œuvre des circuits courts…

Certes, ce ne sont pas les « idées géniales », dont la liste s’allonge quasiment chaque jour, qui manquent pour tenter d’apporter des réponses à ces défis ! À chacun son système de livraison (le groupe Carrefour en expérimente actuellement plus de dix !). D’autres, capables de mobiliser des fonds gigantesques, veulent réinventer le commerce en le remplaçant par des dark stores, URW lance le drive to store… Toutes solutions, dont on remarquera au passage qu’elles s’appuient sur le magasin, qui reste le pivot de stratégies dopées au digital.

Si cette floraison de pistes est riche, ces dernières restent très (trop ?) centrées sur le « quick commerce », plaçant prioritairement au cœur des enjeux une logistique dont la rentabilité reste à trouver. Aucune de ces pistes n’a d’ailleurs vraiment apporté de réponse claire quant aux résultats à attendre en matière de performances de chiffre d’affaires, de rendements et surtout de rentabilité qui devraient justifier les restructurations et investissements à faire. Chacun en est encore à chercher son modèle économique au travers d’un compte d’exploitation refondu dans lequel la part relative de chaque poste aura été réajustée, à commencer par la part de la logistique, du coût de l’immobilier et de la fiscalité qui l’accompagne.

On ne peut, dans ce contexte, que s’étonner et s’inquiéter que toujours rien à ce jour n’ait été tiré des Assises du commerce, dont on attend toujours le rapport et les propositions devant aider à la relance du commerce ; il est apparemment plus facile pour certains de décréter des moratoires que de poser les bases d’une refondation d’un secteur qui pèse pourtant plus de 3 millions d’emplois…

Le chemin de la reconstruction risque décidément d’être encore bien long ! Cette reconstruction demande le courage de se projeter, de regarder résolument devant et de cesser de regarder en arrière, sauf pour se convaincre que plus rien ne sera comme avant.


Jérôme Le Grelle (ex-CBRE France) a rejoint Mytraffic en mars dernier en tant que Senior Advisor.

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