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Par Christine Hoarau-Beauval, Le Visiteur d'Architecture

Le bureau, histoire d'une (r)évolution

À l’occasion de l’inauguration du nouveau siège d’Orange à Orléans, Éric Cosserat, président de Perial, déclarait : « Nous sommes fiers de livrer ces bureaux en cette période de post-pandémie, preuve que le bureau n’est pas mort ! ». Loin de n’être qu’une formule de mètres carrés, le bureau est, dans notre société en pleine mutation, un véritable révélateur de nos modes de sociabilité. À l’ère du triomphe du numérique, de la digitalisation, de la fluidité, de la flexibilité… toute crise peut aussi être prise comme un accélérateur de tendances. Il faut réinventer le genre pour s’adapter aux évolutions de l’humain.

© Monkey Business - Adobe Stock (Montage)

Regarder le travail, le bureau, c’est avant tout s’intéresser à l’humain1, aux métiers – deux tiers des enfants scolarisés en maternelle aujourd’hui exerceront une profession qui n’existe pas encore selon les rapports récents du Sénat. Et l’impact de l’automatisation et de l’intelligence artificielle n’est pas à négliger. Le genre « bureau » suit les transformations de la société.

Dans l’histoire, ce lien décrit d’ailleurs davantage une relation à l’exercice de son métier qu’un lieu bâti dans lequel on se rend. Au XXe siècle, la tertiarisation sans précédent de l’économie mondiale a amalgamé bureau et immeuble, qui semblaient progressivement ne faire plus qu’un. À l’heure où travailler dans le secteur tertiaire peut se faire depuis son canapé ou le café du coin avec un ordinateur, voire un téléphone, il est intéressant de regarder le bureau pour ce qu’il est en tant que meuble – qui, en droit, se dit d’un bien corporel qui peut être déplacé.

C’est par l’écriture que naît le bureau

Remonter à la création du meuble que l’on appelle communément bureau, c’est comprendre les raisons de sa création. Dans l’Antiquité, seuls les scribes professionnels ont accès à l’écriture ; ils utilisent des tablettes gravées ou du papyrus. Ils écrivent jambes croisées, à même le sol, dans un exercice fastidieux.

À partir du Ve siècle en Occident, le parchemin2 se diffuse et l’écriture, ainsi que la lecture, deviennent le domaine réservé d’une élite d’administrateurs et de clercs d’Église. Ces conseillers et émissaires des plus grands souverains se lancent alors dans la fondation de monastères dédiés à la copie3. C’est au XIIIe siècle que s’effectue le changement de paradigme, le métier se laïcise. La bourgeoisie urbaine ne cherche plus seulement des livres religieux en latin, mais aussi des traités de droit, des ouvrages de littérature ou encore des manuels de cuisine, en langue vulgaire. Des ateliers indépendants apparaissent dans les grandes villes, c’est le triomphe de l’écrit sur la transmission orale qui révolutionne la manière d’écrire, de lire, d’apprendre et de communiquer.

Dans l’évolution des supports, l’écritoire créé pour rendre plus confortable la position d’écriture est l’ancêtre de nos bureaux. Cette tablette inclinée va prend des formes différentes. Le « pupitre » est la version sur pied, mais il en existe alors d’autres formes, notamment une munies de pieds fixes pouvant contenir des rangements. Afin de protéger les livres qu’ils copiaient et d’éviter les taches d’encre et autres salissures, les moines recouvraient ces meubles de bure. Le terme « bureau » trouve ses origines dans le nom de ce tissu. C’est finalement à partir du XVIe siècle que le terme « bureau » est apparu pour désigner ce meuble doté d’une protection, puis le mobilier de travail plus généralement.

Au cours du XVIIe siècle, les pratiques d’écritures ayant évoluées, le meuble change pour prendre une forme plate : « table à écrire » ou « bureau à plat » sont les termes utilisés pour qualifier ce nouveau design. Les systèmes de rangement sont réintégrés sur les côtés afin de laisser de l’espace pour les jambes et apporter plus de confort à l’assise. Dans les appartements de la haute société, une pièce est aménagée pour recevoir le cabinet ou secrétaire, des documents confidentiels y sont rangés. Le bureau est un espace privé et exclusif dans la maison.

Moines copistes travaillant dans un scriptorium, enluminure extraite du Livre des Jeux. XIIIe siècle. 

C’est par l’industrialisation que naît l’immeuble de bureaux

Bien que le premier bâtiment de bureaux soit réputé être un édifice de trois étages en briques en forme de U conçu par Thomas Ripley et achevé en 1726 à Londres, en Grande-Bretagne, pour les lords de l’amirauté, c’est au début du XXe siècle que la demande de production de bureaux augmente considérablement. Les innovations cumulées dans les domaines de l’énergie (électricité), du bâtiment (structures, ventilation…), de l’organisation productiviste du travail… contribuent à ce développement sans précédent. Et depuis lors, il n’y a finalement pas eu de changements majeurs jusqu’à l’avènement de notre ère de « l’information et de l’ubiquité », comme le déclarait déjà Paul Virilio en 19974.

Et c’est par le digital que le bureau change à nouveau de paradigme

Si le salarié, par l’avènement de l’ordinateur et des technologies de l’information, devient mobile et le bureau un lieu d’expérience nomade et parfois digital (UX), mais alors, de quoi et pour qui sera fait le bureau de demain ? En comprendre les tenants et les aboutissants est aujourd’hui fondamental. L’expérience phygitale accompagne le collaborateur en mettant à sa disposition des « outils-facilitateurs » pour : l’accès ou l’orientation sur site, les room-pads, la place au RIE, le chat interne et même les cours de fitness.... Dans les space-planning nouvelle génération et les dispositifs numériques intégrés (smartphones, tablettes ou capteurs, applications…), il faut désormais intégrer la possibilité du travail à distance, du collègue « holographique », de nouvelles temporalités. Puis, l’analyse des données d’usage permet d’améliorer la flexibilité des différents espaces du bâtiment. Certains exemples comme Bearing Point à La Défense, par Studios, montraient déjà avant le Covid des évolutions des espaces de travail, quasiment en temps réel.

Mais, bien que les nouvelles technologies permettent de travailler partout et tout le temps, on n’en est pas encore à l’entreprise nomade. Pourtant, cela ne saurait tarder ! Dans son rapport de 2007 sur l’avenir du travail, Jacques Attali n’hésitait pas à prédire « qu’en 2050, beaucoup d’entreprises commenceront à ne plus avoir de base sédentaire et à être comme leurs salariés, de plus en plus nomades, virtuelles, délocalisées. 40 % des sièges sociaux traditionnels auront disparu (…) les entreprises deviendront des conglomérats locaux basés dans des ‘‘tiers-lieux’’ avec des réseaux de travailleurs nomades.

Une des clés de la réussite de cette transformation est la mise en œuvre pour chaque projet d’une stratégie en milieu de travail, accompagnée de l’adhésion des dirigeants, d’un solide plan de communication et d’un engagement avec le personnel et le management pour définir les outils et la formation nécessaires au succès de la vie communautaire. Bureau vélo, bureau dans un jardin, bureau bulle ou autres, ce dernier, lui, s’adaptera toujours…


1. Une compréhension approfondie des comportements humains voit le jour grâce aux recherches en neurosciences. Ces études permettent de reconnaître la diversité des profils humains et de recentrer la conception des espaces de travail autour des fondamentaux.

2. Inventé au IIe siècle à Pergame, c’est un matériau transparent ou opaque, d’une surface lisse, obtenu par séchage de la peau chaulée non tannée provenant de moutons, chèvres, porcs ou ânes. Source : dictionnaire Larousse 2021.

3. Saint-Martin de Tours ou encore du mont Saint-Michel acquièrent une grande réputation dans ce domaine avec leurs ateliers de moines copistes (ou « scriptorium »).

4. Legrand Baptiste, 2049 : Quand mon collègue sera un hologramme, L’Obs, février 2020.


Article issu du numéro 185 de Business Immo Global.

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