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Régis Chemouny, KPMG

Directive AIFM, de nouveaux éclairages complémentaires sur sa mise en œuvre

a nouvelle directive européenne « AIFM » (Alternative Investment Fund Managers) vise à établir un cadre réglementaire harmonisé, permettant de superviser et de contrôler les risques que font peser les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs à l’ensemble de leurs parties prenantes directes (investisseurs, contreparties) et indirectes (tous les acteurs opérant sur les marchés financiers). Par Régis Chemouny, FRICS - Associé KPMG

Vers des mesures additionnelles (« Level II »)

Le 16 novembre dernier, l’ESMA ou AEMF (« Autorité Européenne des Marchés Financiers ») a transmis un avis technique à la Commission Européenne, celle-ci devant statuer dans l’année sur les mesures ou actes qui lui sont délégués par la directive AIFM. En publiant son avis de 500 pages, l’ESMA a rempli son contrat dans les délais, à l’issue d’un processus incluant plusieurs consultations publiques, chacune des parties intéressées (associations professionnelles, acteurs économiques…) ayant eu la possibilité de faire entendre sa voix. Les acteurs du secteur des Fonds d’Investissement Alternatifs (« FIA ») ont entamé une analyse stratégique des implications de l’AIFMD sur leur modèle économique. Les discussions animées sur les mesures déléguées à la Commission Européenne, dites « Level II », traduisent aujourd’hui un besoin accru de clarification et d’interprétation de cette directive. Avec l’avis technique de l’ESMA, le cadre normatif de la directive se précise. Cet avis traite de sujets aussi variés que les règles d’organisation des gestionnaires de FIA, les responsabilités des dépositaires, les obligations en matière de reporting financier et d’effet de levier ainsi que certaines règles applicables aux pays tiers.

Principes généraux des propositions de l’ESMA

A plusieurs reprises dans son avis technique, l’ESMA reconnaît la nécessité de faire converger les dispositions de l’AIFMD vers celles des directives Mifid et OPCVM/UCITS. Le devoir pour le gestionnaire d’agir dans le meilleur intérêt des investisseurs en est une illustration. L’ESMA n’hésite pas à faire référence explicitement à la directive OPCVM/UCITS dans ses commentaires sur les mesures préconisées. Les mesures proposées par l’ESMA visent à enrichir la documentation des activités du gestionnaire en amont (définition de procédures), ainsi que la documentation liée aux opérations. Ceci se traduit par l’obligation de revoir périodiquement les activités, ainsi que l’ensemble des rapports aux organes de direction, notamment le rapport sur les éventuels non-respect de procédures (par exemple en cas de conflits d’intérêt) ou tout rapport justifiant une prise de décision (par exemple le rapport de due diligence en cas de décision ou non d’un investissement dans une cible particulière). La diversité de la population des FIA ne permet pas toujours de donner des lignes directrices chiffrées ou des limites précises pour leur gestion. Néanmoins, l’ESMA suggère des définitions et critères minimaux, qui permettent d’éclairer certains sujets abordés dans la directive.

Quelques précisions sur le champ d’application

La directive prévoit un régime d’agrément et de surveillance pour tous les AIFM domiciliés dans l’UE, indépendamment du domicile légal du fonds d’investissement alternatif, ainsi que pour les AIFM non domiciliés dans l’UE souhaitant gérer ou commercialiser des fonds d’investissement alternatifs dans l’UE. Les gestionnaires de FIA gérant des actifs de plus de 100 M€ ou 500 M€ (sans effet de levier et sous conditions), entrent dans le champ d’application de la directive. L’ESMA précise que la valeur de ces actifs sous gestion s’entend en valeur brute des actifs en portefeuille. De plus, cette valeur ne doit pas dater de plus de 12 mois avant la date du test. Si du fait des fluctuations de valeurs, les seuils indiqués ci-avant sont dépassés, ce dépassement ne prend effet que s’il est effectif plus de 3 mois. L’ESMA confirme que les fonds d’investissement non concernés par la directive AIFM (OPCVM/UCITS, fonds exemptés du fait des dispositions transitoires) ne sont pas à prendre en considération dans ce calcul.

Exigences en fonds propres

Les AIFM doivent disposer d’un niveau minimum de capital de 125 000 € ou 300 000 € pour les fonds autogérés ainsi qu’un complément de 0,02 % de la valeur des actifs sous gestion excédant 250 M€ (dans la limite d’un capital maximum de 10 M€). Les AIFM devront, de plus, respecter un ratio d’adéquation de fonds propres inspiré du cadre réglementaire bancaire. Ces fonds propres devront représenter à tout instant au minimum 25 % des frais généraux fixes de l’exercice précédent. Ces fonds propres devront être investis en valeurs liquides ou équivalents. Au-delà du capital initial et des fonds propres nécessaires, tels que définis dans la directive, l’ESMA clarifie les exigences de fonds propres complémentaires destinés à couvrir les risques en matière de responsabilité pour négligence professionnelle du gestionnaire. Ils correspondent à 0,01% de la valeur des actifs sous gestion. L’ESMA permet de réduire ce montant par la souscription d’une assurance en responsabilité professionnelle adaptée.

La délégation de fonctions sous certaines conditions

Une liste de fonctions autorisées pour les AIFM, certaines obligatoires et d’autres facultatives moyennant conditions, est présentée dans la directive. Au minimum, un AIFM doit fournir les deux fonctions obligatoires suivantes : la gestion du portefeuille et la gestion des risques. Il peut aussi prendre en charge l’administration du fonds, sa commercialisation et toute autre activité liée à la gestion des actifs du fonds. Ces fonctions peuvent faire l’objet d’une délégation à des tiers moyennant notification aux autorités compétentes, ainsi que le respect de certaines conditions. L’AIFM ne peut se décharger de ses responsabilités envers le fonds et ses investisseurs par le biais de contrats de sous-traitance. L’ESMA n’exclut pas la possibilité de déléguer les deux principales fonctions du gestionnaire, à savoir la gestion du portefeuille et la gestion des risques. Cependant, il existe un cadre strict lié à une telle sous-traitance. Il convient notamment que le délégué soit accrédité pour ces fonctions et qu’il corresponde à une entité réglementée.

Une gestion des risques renforcée

L’ESMA exige que les gestionnaires identifient exhaustivement les risques liés à chaque FIA. Ces risques doivent être suffisamment segmentés (risque de marché, de crédit, de liquidité, de contrepartie et risque opérationnel). Pour chaque typologie de risques, des limites doivent être définies en fonction du profil de risque du FIA et des stress tests doivent être menés périodiquement. Le gestionnaire doit également adopter une politique de gestion des liquidités permettant de démontrer aux autorités, que le niveau de liquidité du fonds est conforme à ses obligations, compte tenu de son profil.

De la transparence, encore de la transparence…

Afin d’obtenir un agrément auprès de leur Etat membre d’origine, les AIFM devront fournir un certain nombre d’informations aux autorités de surveillance, notamment sur leurs compétences dans la gestion de fonds, leur politique de gestion, l’identité et les caractéristiques des fonds gérés, les méthodes d’évaluation et de conservation des actifs, ainsi que la gouvernance mise en place. Par la suite, les gestionnaires devront fournir une information régulière aux autorités de surveillance sur les marchés où ils opèrent, les instruments négociés, leurs principales expositions et leurs performances. L’information aux investisseurs est également renforcée. Les gestionnaires devront communiquer une description détaillée de la politique d’investissement (typologie d’actifs, recours au levier financier), des frais et commissions appliqués, des modalités de remboursement, des modes d’évaluation, de conservation des actifs et de gestion des risques.

Les responsabilités du dépositaire

Chaque fonds d’investissement alternatif doit avoir recours à un dépositaire. Le dépositaire doit être établi dans l’Etat membre du fonds pour les fonds européens ou dans un pays tiers pour les fonds non européens, sous réserve que ce pays tiers ait signé des accords de coopération avec l’UE (ou dans l’Etat membre de référence du fonds opérant dans l’UE). L’ESMA confirme les deux fonctions essentielles du dépositaire : la conservation des actifs et leur surveillance au sens large. Ceci implique de nombreuses responsabilités comme le contrôle des flux de trésorerie du FIA, l’analyse des revenus, la vérification de l’évaluation des actions/parts du FIA ainsi que celle de ses actifs. Pour ce faire, le dépositaire pourra réaliser certains contrôles sur site, par exemple chez le gestionnaire du FIA.

De nouvelles orientations à prendre rapidement pour les gestionnaires de fonds alternatifs

Les gestionnaires d’actifs doivent, dès que possible, revoir leur modèle économique à la lumière de la directive et des propositions de l’ESMA. Des questions centrales comme celle d’une éventuelle re-domiciliation du gestionnaire ou du FIA, dans ou hors de l’UE, doivent être posées rapidement. Une analyse de l’organisation du gestionnaire et du FIA doit être menée, afin d’initier le processus de migration vers l’AIFMD dans les meilleurs délais. La délégation de certaines fonctions à des tiers peut, dans certains cas, être une alternative efficace et rentable. Les exigences envers les dépositaires auront de sérieuses répercussions sur le fonctionnement actuel de certains marchés, en particulier pour ceux qui n’ont pas déjà recours aux dépositaires. Une revue de leur cadre opérationnel et contractuel s’impose, afin de s’aligner sur les principes de la directive. Les dépositaires devront envisager la possibilité de s’appuyer sur de nouveaux systèmes d’information plus appropriés et des tiers indépendants. Les administrateurs et leurs clients auront besoin de trouver le moyen le plus efficace de produire les rapports requis. La directive AIFM introduit de nouvelles règles en matière de gestion des risques, qui nécessitent des méthodes d’évaluation et des techniques de modélisation sophistiquées. Les administrateurs seront, en outre, obligés de revoir leurs contrôles et procédures, afin de s’assurer qu’ils répondent à cette demande accrue de transparence. Cet avis de l’ESMA, bien qu’il ne soit pas la dernière étape de l’arsenal légal et réglementaire de l’AIFM, répond en partie à certaines questions pratiques de mise en œuvre de la directive. Cependant, les différentes précisions encore nécessaires, les actes délégués à la Commission Européenne et les options prises par les Etats membres lors de sa transposition dans les lois nationales, pourraient engendrer de nouvelles modifications. Il faut s’attendre à ce que toutes les questions ne trouvent pas de réponse d’ici juillet 2013. Quoi qu’il en soit, le processus est en marche et la Commission Européenne devrait prendre position dans les mois qui viennent sur les mesures dites « Level II ».


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