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SPPICAV et Finance Islamique : « Practice makes perfect »

Les investisseurs du Moyen-Orient sont présents sur le marché immobilier français depuis de nombreuses années. Cet appétit pour la place française a conduit les praticiens et les pouvoirs publics à trouver des solutions pour offrir un cadre juridique et fiscal approprié à ces investisseurs, permettant de tenir compte des contraintes spécifiques auxquelles ils peuvent être soumis, et notamment les préceptes de la Sharia. Très récemment, et pour la première fois, un investisseur islamique a procédé à une acquisition immobilière au travers d’une SPPICAV. Cette opération est la preuve des efforts accomplis pour développer l’attractivité de la place française auprès des investisseurs islamiques, mais démontre également que certaines questions restent en suspens. Par Sophie Maurel et Xavier Jancene, avocats counsels, Allen & Overy LLP Avec la collaboration de Brice Henry, avocat associé, Allen & Overy LLP.

Xavier Jancene et Sophie Maurel, avocats counsels, Allen & Overy LLP.

Dès 2007, des efforts significatifs ont été déployés sous l’impulsion de Christine Lagarde et du Sénat, suivis des travaux de l’association Paris Europlace, afin d’ouvrir le marché français aux investisseurs islamiques et stimuler l’attractivité de la France auprès de ces derniers. Le défi consistait à concilier les préceptes de la Sharia avec nos pratiques, notre droit et notre fiscalité, afin d’offrir un cadre juridique et fiscal approprié à ces investisseurs. A titre d’illustration, la Sharia prohibe notamment l’investissement dans certaines activités, dont l’armement, le tabac, l’alcool, les jeux de hasard, la pornographie, la production de porc ou encore l’activité de banques et services financiers non islamiques. La diversité de l’offre française permet de répondre relativement facilement à cette première exigence, mais la Sharia est plus contraignante en ce qu’elle interdit aussi toute forme d’intérêt (Riba), l’argent ne pouvant être, selon la philosophie musulmane, qu’un simple instrument pour faciliter les échanges et non l’objet de l’échange lui-même. Le financement des investissements islamiques nécessite donc le recours à des structures particulières permettant à la banque de se rémunérer autrement que par la perception d’intérêts.

La structure la plus répandue jusqu’à présent en France pour le financement d’acquisitions immobilières est le Murabaha ou une déclinaison de ce dernier, le Tawarruq. L’opération de Murabaha consiste typiquement pour une banque (ou un intermédiaire financé par une banque) à acquérir l’actif immobilier auprès du vendeur pour un prix convenu et à le revendre immédiatement, ou à un très bref délai, à l’investisseur pour un prix fixe payable à terme, dont le montant correspond au prix convenu augmenté d’une marge. Cette marge est destinée à rémunérer la banque/l’intermédiaire au titre de son intermédiation et du différé de paiement accordé à l’investisseur. Cette opération de Murabaha, qui finance directement l’acquisition de l’actif immobilier, est également qualifiée de Murabaha avec ordre d’achat dans la mesure où l’investisseur demande à la banque ou à l’intermédiaire de financer l’achat d’un actif déterminé. Une variante du Murabaha, dénommée Tawarruq, peut être utilisée pour permettre à l’investisseur islamique de dégager les liquidités nécessaires au financement de l’acquisition immobilière. La banque procède alors à l’acquisition d’un actif liquide (en général des marchandises, matières premières ou titres financiers) sur un marché (réglementé ou non) et le revend à l’investisseur islamique moyennant un prix payable à terme augmenté d’une marge. L’investisseur revend ensuite l’actif comptant à un tiers, ce qui lui permet de disposer des liquidités nécessaires au financement de son acquisition immobilière. Le choix entre ces structures est généralement effectué en fonction des contraintes inhérentes à l’acquisition, des coûts qu’elles engendrent, des sûretés exigées par la banque ou encore des préférences de l’investisseur ou de son « Sharia board ». Une fois l’opération de Murabaha ou de Tawarruq mise en place et au moyen des revenus générés par l’immeuble dont elle a financé l’acquisition, l’investisseur procèdera au paiement du prix payable à terme selon l’échéancier convenu avec la banque. Les obstacles initialement identifiés à la mise en place de structures de financement de ce type étaient principalement fiscaux. Les efforts déployés par les services publics ont débouché sur la publication de plusieurs instructions de l’administration fiscale permettant de clarifier le traitement des opérations de financement islamique en matière de droits de mutation, d’imposition des revenus, de TVA ou encore de contribution économique territoriale (CET). Si le traitement des opérations de Murabaha classiques (i.e. Murabaha avec ordre d’achat finançant directement l’acquisition de l’immeuble) peut être désormais considéré comme assez largement clarifié, le traitement des opérations de Tawarruq (i.e. opérations de financement assises sur un actif liquide tel que des marchandises ou des titres), qui restent moins fréquentes en France, soulève encore certaines questions, au plan fiscal mais aussi réglementaire et juridique. L’utilisation d’un véhicule réglementé tel qu’une SPPICAV devient alors un facteur de complexité supplémentaire. L’opération récemment mise en place, consistant dans l’acquisition, par la filiale d’une SPPICAV, d’un ensemble immobilier à usage de bureaux, financée par le biais d’un Tawarruq, a ainsi soulevé plusieurs questions aux plans juridique, réglementaire et fiscal, tant du côté de la banque que de l’investisseur. En particulier, la question de l’éligibilité des biens servant de support à l’opération de Tawarruq a été au centre des débats impliquant une faculté d’adaptation et d’innovation de la part de la banque, de la société de gestion de la SPPICAV, des investisseurs et de leurs conseils respectifs. Dans un premier temps, le recours à des matières premières ou marchandises a été envisagé (opération couramment dénommée « Commodity Murabaha ») nécessitant pour la banque de disposer d’un agrément et d’un savoir-faire spécifique (agrément permettant de procéder à l’acquisition des matières premières, recours à des intermédiaires spécialisés procédant à l’achat-revente des marchandises ou matières premières…). Si, à l’heure actuelle, il existe des banques capables de proposer, en France, des schémas de financement au travers d’opérations de Commodity Murabaha, leurs clients ne sont pas toujours en mesure de les accueillir. Au cas particulier, c’est le caractère réglementé du véhicule d’acquisition utilisé par l’investisseur qui a été source de questions et d’incertitudes. Parmi les questions soulevées, on peut citer notamment celle de l’éligibilité de l’opération de financement à la règlementation des OPCI telle que prévue par le Code monétaire et financier, ou encore celle de la nécessité éventuelle d’un agrément spécifique pour la société de gestion et le dépositaire pour pouvoir participer à une opération impliquant l’acquisition de marchandises ou de matières premières. Au final, ces différentes contraintes réglementaires ont conduit à retenir comme support de l’opération de financement des titres plutôt que des matières premières. Si ce changement peut apparaître à première vue relativement bénin, il a néanmoins impliqué de procéder à divers ajustements et vérifications à la fois du côté de la banque et du côté de l’investisseur. La banque a ainsi dû s’assurer qu’elle disposait du véhicule et des autorisations nécessaires pour procéder à l’acquisition des titres, correspondant au cas particulier aux actions d’un exchange traded fund (ETF) de droit étranger réputé investir dans des sociétés « sharia compliant ». L’investisseur, quant à lui, a dû s’assurer que les titres en question étaient éligibles au regard de la Sharia selon des critères tenant à l’activité et au niveau d’endettement des sociétés composant le fond. Cette vérification accomplie, l’étape suivante a consisté à détailler la mécanique de l’opération de financement afin de valider, auprès de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) que celle-ci était compatible avec la réglementation applicable aux SPPICAV. L’analyse menée sur ce dernier point a nécessité de décomposer la transaction en deux opérations distinctes, toutes deux conformes à la réglementation des SPPICAV, savoir : (i) l’achat-revente des titres de l’ETF par la filiale de la SPPICAV suivi de l’acquisition le même jour, par cette filiale d’un actif immobilier au moyen des liquidités générées par l’achat-revente des titres et (ii) l’octroi d’un différé de paiement constituant une opération de crédit. Enfin, l’utilisation des titres comme support de l’opération de financement a soulevé des questions au regard des nouvelles règles applicables aux cessions d’actions en matière de droit de mutation. Cette opération de financement islamique, réalisée au travers d’une filiale de SPPICAV, est la démonstration que le droit français dispose des outils nécessaires pour s’adapter aux contraintes de la finance islamique mais aussi qu’il reste du travail à accomplir pour offrir un niveau de sécurité satisfaisant à ces opérations tant au plan juridique, réglementaire que fiscal. Cette opération est également la démonstration que l’effort conjugué et l’approche constructive des intervenants en présence (investisseurs, banque, société de gestion, dépositaire et AMF) ont contribué à faire progresser les techniques de financement islamique en France et à rendre le marché français plus accessible. En définitive, plus la finance islamique sera présente en France, plus son cadre juridique et réglementaire progressera et deviendra attractif. Après tout, les Anglais, précurseurs de la finance islamique, ont bien ce célèbre dicton « Practice makes perfect » !


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