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Point de vue de Ludovic Lobjoy, Lobjoy & Bouvier

Oui la transformation des bureaux en logement est une bonne idée ... mais soyons réalistes, demandons l'impossible !

Fléau constant depuis plus d’un demi-siècle, la pénurie de logements est devenue un enjeu de société dépassant largement l’effervescence médiatique de ces dernières semaines autour des déclarations successives du gouvernement. En Ile-de-France en particulier, l’impossibilité de se loger confortablement, ou même dignement, au-delà du caractère scandaleux d’une telle situation, pousse de façon continue les jeunes adultes diplômés à quitter les territoires du Grand Paris au profit de métropoles régionales et aujourd’hui au profit d’autres capitales mondiales plus accueillantes et mieux équipées. Cette fuite des cerveaux est un enjeu considérable pour la performance des entreprises et la compétitivité de la Métropole parisienne et plus généralement pour le redressement de notre équilibre national. La transformation de bureaux en logements doit s’inscrire dans cette vision globale et donc être envisagée avec réalisme et pragmatisme comme une opportunité de produire rapidement des logements de bonne qualité et accessibles à tous, tout en poursuivant le renforcement de l’attractivité du Grand Paris par la construction d’immeubles de bureaux adaptés au besoin des entreprises.

Faisant suite à l’annonce du Président de la République, en mars dernier, de son intention de transformer plus de 2,5 millions de m2 de bureaux vacants en logements, Cécile Duflot insiste sur sa volonté d’accélérer la transformation des bureaux en logements. Levier modeste face à la pénurie de logements (2,5 millions de m2 utiles de bureaux représentent de l’ordre de 36 000 logements pour un manque estimé en région parisienne à 200 000), la conversion de bureaux vides est une solution prometteuse à envisager. Cependant, avant de se ruer sur ces quelques milliers de m2 vacants, gardons à l’esprit que tous les mauvais bureaux ne sont pas susceptibles de devenir de bons logements et que les conditions règlementaires ou fiscales et les modes de production ou de construction d’aujourd’hui rendent ces transformations impossibles à grande échelle.

Bureau + logement, une équation favorisée par la polycentralité grandissante de la métropole

En raison de la modification continue des modes de travail des entreprises (transversalité, fonctionnement en mode projet, nomadisme, etc) et de l’évolution des stratégies d’implantation territoriale, un immeuble de bureaux ne répond déjà plus, au bout de 15/20 ans, aux besoins de ses usagers et doit subir de lourdes transformations. Face à la grande stabilité du modèle logement, l’obsolescence programmée des immeubles de bureaux révèle la versatilité de ce modèle de bâtiment et la nécessité d’inscrire sa transformation dans une perspective à long terme d’aménagement du territoire.

La production constante de nouveaux bâtiments efficaces et accueillants pour les entreprises va de pair avec l’abandon d’autres immeubles impropres à leurs usages ou géographiquement mal positionnés. Que faire alors de ces bâtiments vides et sans avenir ? Les préoccupations de développement durable incitent à faciliter et encourager les conversions plutôt que les démolitions dont le bilan carbone est une catastrophe. Le recyclage des bâtiments de bureaux désuets et leur transformation, en logements ou autres programmes à usage d’habitat, s’inscrit donc dans une vision globale et pérenne des territoires associant notamment transports efficaces, bureaux adaptés et offre de logement généreuse.

En effet, la polycentralité croissante et assumée est une occasion à ne pas manquer de réorganiser et renforcer la mixité des territoires au service d’une meilleure prise en compte des besoins des entreprises, notamment la proximité de leur bassin d’emploi, d’une qualité supérieure des modes d’habiter et, bien sûr, d’une réelle efficacité des transports. Ne nous limitons pas à faire du logement et du bureau des vases communicants ! La transformation de bureaux en logements est une bonne idée en ce qu’elle offre l’opportunité de les considérer comme des éléments complémentaires d’une identité urbaine et métropolitaine attractive et durable.

Bureau = logement, une équation impossible ?

D’une façon générale, la transformation de bâtiments est une très bonne solution qui génère des réponses originales et créatives. Pourtant, aussi pertinente soit-elle, la transformation d’immeubles de bureaux en logements reste aujourd’hui une équation impossible !

Le principal frein à la mutation d’immeubles de bureaux est financier : transformer coûte 20 à 30 % plus cher que construire neuf. De plus, les rendements et les outils de fiscalité, plus favorables au bureau qu’au logement sur de nombreux points, éloignent les propriétaires et les investisseurs de ce marché. Une difficulté d’ordre structurel émerge également: les modes de détention des immeubles et la spécialisation des métiers de l’immobilier favorisent un cloisonnement des modes de production de logements et de bureaux. A cela, il convient d’ajouter les pertes de surfaces souvent inévitables dans ce type de transformation. La règle urbaine doit ainsi permettre, lors de ces transformations, la création de surface nécessaire à l’équilibre des budgets garantissant la rentabilité et donc la faisabilité de ces opérations tout en les inscrivant dans une dynamique de renouvellement de la Ville alliant mixité, densité et intensité.

Dans d’autres domaines, certaines contraintes règlementaires rendent tout simplement ces transformations impossibles sans dérogations ; dérogations sur lesquelles personne n’a le courage de s’engager (PMR en particulier). Cessons de nous cacher derrière un faux-semblant de politiquement correct : l’ensemble des professionnels concernés le savent, de nombreuses dispositions de la réglementation relative à l'accessibilité du cadre bâti aux personnes handicapées interdit toute velléité de transformation de bureaux en logements autant qu’elle génère des logements de mauvaise qualité sans pour autant répondre efficacement aux multiples situations de handicap !

Sans doute cet inventaire n’est pas exhaustif, mais, nous le voyons, les blocages sont faciles à identifier et les solutions existeront si la volonté politique s’exprime de manière appropriée. En l’état, l’équation reste aujourd’hui impossible et les propositions avancées par le gouvernement ne sont pas suffisantes. Brandir des menaces de réquisition ne sert à rien car, pour les raisons évoquées, ces immeubles ne pourront être transformés ! Il est temps d’agir avec réalisme pour que la reconversion des bureaux vacants soit règlementairement possible et économiquement viable, afin qu’elle contribue à résoudre durablement la crise du logement par une offre diversifiée, tout en assurant la compétitivité de la Métropole.

La faisabilité de ces opérations de mutation du bâti dépend aujourd’hui de la capacité du gouvernement à prendre des mesures à la hauteur du défi technique et sociétal auquel nous sommes tous confrontés. Il doit donc donner aux acteurs de terrain les moyens de son ambition politique en faveur de ces transformations : des outils fiscaux incitatifs et mieux adaptés, des contraintes règlementaires assouplies (PMR en particulier), la possibilité de densifier les opérations, etc. C’est seulement à ces conditions que les professionnels du secteur sauront imaginer des solutions inventives et ajustées.

Une occasion historique de construire du logement autrement

La reconversion d’immeubles de bureaux est l’occasion de remettre en cause notre modèle de production de logements standardisés (séjour de moins de 20 m2 artificiellement agrandi par une cuisine « à l’américaine » minimale, rangements inexistants, surface « à vivre » dévorée par les critères d’accessibilité (PMR), etc) pour aller vers des logements plus grands, moins chers et appropriables par tous. Hormis pour les bâtiments d’époque Haussmannienne, qui reviennent ainsi à leur destination d’origine, il est le plus souvent vain de calquer les critères et les habitudes du logement neuf aux programmes conçus dans le cadre de restructurations.

Vouloir apporter une réponse standard à une question complexe est une posture vouée à l’échec. Il faut plutôt révéler « l’ADN » du bâtiment et celui du Territoire pour inventer une destination programmatique sur mesure. Chaque immeuble et chaque Territoire posent des questions particulières : chaque réponse doit être faite au cas par cas.

Cette approche réaliste ouvre des perspectives pour résoudre l’équation économique : ne plus se restreindre aux programmes et aux prestations standardisés, et imaginer des typologies alternatives permettant de concevoir et de proposer des logements différents répondant à un segment de la demande aujourd’hui non satisfait par l’offre disponible. La transformation de bureaux en logements offre ainsi la possibilité d’adapter l’habitat à l’évolution de la société, et du modèle familial. Il ne s’agit pas uniquement de créer des logements en quantité pour « les couples avec 2 enfants », mais d’inventer une offre variée tenant compte des évolutions démographiques et répondant à la demande dans toute sa diversité (séniors, familles séparées et recomposées, étudiants, actifs déplacés, etc).

Une fois les prérequis économiques, règlementaires et techniques traités et une dynamique engagée en faveur d’une solution pragmatique, il faut surtout envisager cet enjeu sous l’angle social, architectural et urbain. De même que le Grand Paris doit être en mesure de fournir une offre sans cesse renouvelée de bureaux adaptés et bien répartis sur le territoire, il doit aussi offrir en quantité suffisante de grands logements, lumineux, bon marché, et accessibles à tous. Il doit également garantir une mixité sociale et fonctionnelle des territoires. Il doit enfin arbitrer sur les justes densités qui, au cas par cas, fondent les
« intensités urbaines » propres à garantir l’accès aux équipements, le foisonnement des cultures et des idées, le confort et l’identité de la ville... et sa compétitivité, garante d’une démocratie équitable. Soyons réalistes... demandons l’impossible !

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