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Point de vue de Jean-Michel Ciuch, Immo G Consulting

[POINT DE VUE] Logements neufs trop chers : une affaire d’Etat ! Comment les politiques et les élus ont fait flamber les prix du foncier

Le législateur justifie son interventionnisme dans le domaine du logement par la nécessité de réguler un secteur qui n’obéirait plus aux lois du marché. De fait, la construction résidentielle est en partie sortie du jeu de la libre concurrence, ce qui ne manque pas d’avoir des répercussions sur les prix.

Mais l’idée commodément avancée d’une « guerre des promoteurs » est sans fondement. Dans sa nouvelle étude « Foncier et logements neufs : pourquoi les prix ne peuvent pas baisser », Immo G Consulting révèle les causes réelles des dysfonctionnements de la production de logements neufs, tout en identifiant les responsabilités et en proposant des solutions.

Constat : l’explosion des valeurs du foncier

L’offre de logements neufs, notoirement insuffisante en zones tendues, ne répond plus à la demande. La pénurie qui en résulte pousse les prix de vente, et les loyers, à des niveaux trop élevés pour nos concitoyens, qui peinent à se loger en location, comme en accession à la propriété. Pourquoi une telle pénurie ?

Laisser entendre que les promoteurs sont les principaux responsables de la cherté des prix du neuf et d’une pénurie d’offre est fallacieux. Les promoteurs ne demandent qu’à construire. Mais, pour cela, il faut des terrains et des permis, deux éléments clés qui échappent aujourd’hui aux lois du marché parce qu’ils sont entre les mains de l’Etat et des collectivités.

De 25% à 50% du prix de vente. La cause principale de la cherté des logements neufs est à chercher dans le coût du foncier, qui entre pour une part de plus en plus importante dans le prix de revient des constructions neuves. Selon la carte nationale des prix des terrains établie par Immo G Consulting :

En province, dans les grandes métropoles régionales comme Lyon, Marseille, Bordeaux, Nantes, Montpellier, où un appartement neuf se vend entre 3 500 et 4 000 € le m², la part du foncier représente de 840 à 1 140 € par m² habitable, soit de 25 à 30% du prix de vente. Avec de fortes disparités géographiques : à Lyon, Nantes, Strasbourg, Marseille ou Lille, un terrain vaut 3 fois le prix de celui situé à Nancy, Clermont-Ferrand, Reims, Limoges, Valenciennes ou Pau.

En Ile-de-France, en première couronne parisienne, la part du foncier représente couramment entre 1 000 et 2 200 € par m² habitable, pour des prix de vente compris entre 3 500 et 5 000 €, soit de l’ordre de 25% à 45%. A Boulogne-Billancourt, Levallois-Perret ou Versailles, un terrain vaut près de 10 fois le prix de celui situé à Albi, Besançon ou Valence.

A Paris même, où le m² habitable dans le neuf est vendu entre 9 000 et 12 000 € le m², le prix du foncier s’étend de près de 3 000 à 6 000 € par m² habitable, soit de 30% à 50%. Ainsi un terrain parisien peut valoir plus de 30 fois le prix de celui situé à Tarbes, Auxerre, Le Mans ou Mulhouse.

Explication : l’interventionnisme coûteux des politiques et des élus

Pour expliquer la proportion démesurée du foncier dans le prix de revient des logements neufs, Immo G Consulting met en évidence trois raisons majeures : la mainmise sur le foncier des Autorités Publiques, la façon dont sont octroyés les droits à construire et la nature des aides publiques au logement. Ces facteurs renchérissent le prix des logements neufs de 15 à plus de 25% en zones tendues.

Les Autorités Publiques s’accaparent le foncier et empêchent toute concurrence

En zone tendue, il y a de moins en moins confrontation entre une offre et une demande privée, mais une mise en concurrence entre les promoteurs initiée directement par les collectivités territoriales via les procédures d’appel d’offre qui favorisent l’inflation des prix. Dans le cadre de ces appels d’offre, l’écart entre le prix le plus élevé retenu et le moins élevé proposé par les promoteurs peut excéder 15 %, écart dont les ménages ne bénéficieront pas.

La collectivité locale monopolise l’offre de terrains aménagés. Une des opérations parisiennes les plus emblématiques illustrant ce propos est l’aménagement des Batignolles où tout s’est quasiment fait entre l’Etat, la Ville de Paris, SEMAVIPSNCF et RFF. En s’accaparant, parfois à vil prix, les terrains en secteurs central et périphérique pour conduire leurs projets urbains, les collectivités participent à la rareté de terrains à bâtir.

Mieux encore, la pénurie leur est profitable, car elle renchérit le prix du foncier et, en conséquence, leurs recettes. Pénurie et renchérissement renforcés par la longueur parfois très importante des opérations d’aménagement (de 10 à plus de 25 ans ! - comme à Aix en Provence -) à laquelle contribuent les changements de municipalité et subséquemment de politique urbaine. 

Les collectivités locales distribuent arbitrairement et au prix fort les droits à construire

Même lorsqu’un terrain n’est pas dans le périmètre d’un projet urbain, propriétaires privés du foncier et promoteurs doivent passer par un système de négociation avec la ville. Le droit de construire, d’aménager et de lancer des opérations, le choix de la destination des immeubles, la détermination des programmes, voire parfois le choix de l’architecte, appartiennent aux collectivités.

Le droit de propriété individuel est supplanté par un « droit de propriété de la collectivité sur son territoire ». Ainsi, en Ile-de-France, depuis la fin des années 90, les collectivités locales ont alimenté et entretenu la pénurie dramatique de logements et leur cherté en détournant plusieurs millions de m² de droits à construire au profit de l’immobilier d’entreprise dont la rentabilité fiscale et financière attendue apparaissait bien plus élevée et qui subit depuis lors une suroffre historique. Exigences excessives.

La collectivité fixe le montant des taxes et participations exigibles des aménageurs/constructeurs pour financer les équipements publics. Or, avec la complicité d’architectes urbanistes aux idées souvent très coûteuses, les collectivités locales ont des exigences parfois trop fortes en matière d’équipement et de transport et imputent de façon excessive les coûts d’urbanisation au prix des terrains aménagés.

A Bordeaux, par exemple, le projet, adopté en 2010 par la Communauté urbaine et la Ville, de création d’un éco quartier aux Bassins à flot prévoit notamment le développement d’équipements publics, à hauteur de 124 M€, des installations de proximité (écoles, crèches, équipements sportifs) destinées à accueillir près de 12 000 habitants d’ici 2030, mais aussi la réalisation d’une Cité des civilisations du vin, le développement d’un port de plaisance… Résultat, les prix de vente des logements en secteur libre dépassent 4 000 € le m² hors parking.

A Lyon, la première phase de l’éco quartier Confluence a représenté un investissement de 1,165 Md€. Des espaces publics généreux et de grands équipements ont été prévus, dont le musée des Confluences, d’un coût de 255,4 M€ (contre 61 M€ prévus au départ). Résultat, les logements libres sont commercialisés à plus de 6 000 € le m² et les logements dits abordables sont passés de 2 700 € le m² en 2007 à un plafond de 3 600 € le m² en 2014.

Des Sociétés d’Aménagement, bras armés des collectivités locales, qui coûtent chers. Au fil du temps, celles-ci sont devenues gourmandes en moyens humains. Pour exemple la Société d’Aménagement de la Métropole Ouest Atlantique (Nantes) est passée de 6 personnes à sa création en 2003 à 17 en 2008 et 34 en 2014. Par ailleurs la rémunération de ces sociétés aux bilans des opérations d’aménagement qu’elles conduisent, non en fonction de leurs charges réelles de fonctionnement, mais sous forme d’imputation forfaitaire de charges ou/et de pourcentages sur les montants des travaux, les dépenses d’acquisition et les prix de cession, a pour effet remarquable d’encourager la vente des charges foncières à des niveaux aussi élevés que possible. 

Ainsi si l’on conserve le même exemple de la SAMOA, il est prévu une rémunération de 5,5 % des montants HT des cessions, et de 4% des dépenses d’acquisition, frais compris. Les comportements des communes aux effets inflationnistes sur les prix de vente des logements neufs peuvent prendre des formes diverses. Ainsi, la ville de Nanterre (Hauts-de-Seine) impose aux promoteurs une Charte relative à la qualité des constructions neuves, avec l’exigence d’un nombre important de grands logements et de performances énergétique et thermique des bâtiments entraînant une augmentation d’au moins 20% du coût de construction, rendant les prix de sortie incompatibles avec la notion de logement abordable.

La politique du logement de l’Etat (dispositifs fiscaux, aides au secteur publique, etc.) pèse sur les prix de vente du secteur privé

Les dispositifs de défiscalisation dopent la demande, mais ont un fort impact sur le prix final des terrains à bâtir, en nombre insuffisant, au détriment des accédants à la propriété. Ainsi, en moins de 15 ans, la valeur patrimoniale des terrains bâtis a été multipliée par 10, alors que celle des logements construits sur ces terrains n’a fait que doubler.

L’accroissement du pouvoir d’achat des ménages, que ces prêts ont induit, a été rogné par un renforcement du prix des droits à construire résultant d’une insuffisance d’offre en zones tendues. En conséquence, le renforcement des facilités et conditions d’octroi des PTZ depuis le 1er janvier 2016 pourrait accentuer davantage encore les pressions inflationnistes sur le foncier et, sans doute, induire in fine un jeu à somme nulle.

Les subventions financières et fiscales octroyées largement aux organismes HLM pour favoriser l’offre en logements sociaux alimentent, pour partie, des « trésors de guerre » chez certaines sociétés. Dans le même temps, le subventionnement de terrains à bâtir par la collectivité soutient l’inflation des prix du foncier qui représente environ 20% du prix de revient d’un logement social.

Propositions : une chaîne vertueuse de la production foncière

Parmi les solutions proposées par l’étude d’Immo G Consulting, figurent notamment : la création d’un observatoire foncier indépendant et transparent dont les maîtres-mots seraient « diagnostic » et « anticipation » ; l’instauration d’une politique foncière locale envisagée sur le long terme, assurant stabilité du zonage, négociation avec les promoteurs, organisation du financement de l’aménagement, et permettant d’agir sur les différentiels de prix à travers l’agglomération ; conduire une politique d’aménagement avec le souci de réguler la production de terrains à bâtir au regard du taux d’absorption du marché immobilier et des besoins réels des ménages ; inciter à la libération du foncier non bâti, en zone tendue, par une fiscalité adaptée et pérenne ; développer le plafonnement des prix de sortie des programmes neufs, mis en place dans les grandes agglomérations (Marseille, Nantes, Lyon, Montpellier…) sous le label « logements abordables » ou « à prix maîtrisés » ; cultiver une autre vision de la ville en encourageant le développement de centralités secondaires, afin d’alléger la pression foncière sur le coeur de ville et de revaloriser les espaces en périphérie.

Les clefs pour accéder à un foncier moins cher existent bel et bien. Mais elles nécessitent de cultiver une autre approche de l’immobilier et de la ville, une politique ambitieuse et sur le long terme en phase avec les enjeux sociétaux, en écartant toute politique de court terme à des fins électoralistes ou nourrie par la financiarisation de l’immobilier.

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