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Orage sur le territoire !

C’est sous la forme d’un cri d’alarme que Jean Michel Lazard, architecte paysagiste qui dirige l'Atelier Naurhtica, bureau d'études de paysage et d'environnement, a rédigé son article pour études foncières. Son but : attirer l'attention des aménageurs, urbanistes et autres professionnels de l'aménagement du territoire. Les actualités récentes sur les conséquences dramatiques des intempéries qui se sont abattues sur la Côte d’Azur, provocant la mort de 20 personnes et engendrant des millions d’euros de dégâts, l’ont fait réagir.

© stnazkul - Fotolia

Je souhaiterais me tromper, mais l'actualité de ces dernières années et semaines ne fait que confirmer ma réflexion sur l’évolution du climat et nos capacités à réfléchir au développement de nos territoires futurs, mégapoles, villes, villages, bourgs, territoires péri-urbains et ruraux.
Le corps humain est une machine complexe que nous ne maîtrisons pas encore dans sa totalité. Nous savons que les organes interagissent les uns avec les autres, et que toute modification de l’un d’entre eux crée un déséquilibre ouvrant les portes aux maladies.
C’est la même chose pour nos territoires, villes, campagnes… ils sont à notre image. Cependant, lorsqu’un « organe » est fébrile dans notre environnement, nous réagissons plus lentement que s’il était dans notre corps. Nous avons tendance à repousser la vérité.

On ne peut pas y croire, c’est un mauvais diagnostic, c’est un événement exceptionnel.
Le rythme soutenu du travail en milieu urbain aveugle nos sens. Assis devant nos ordinateurs, téléphone portable à la main, nous travaillons toujours plus vite. Internet nous permet de tout connaître, de rester interconnectés à l’échelle de la planète, d’obtenir des nuages d’informations que notre cerveau est incapable d’interpréter.
Et, pendant ces heures de lecture, nos orteils restent collés au parquet, au carrelage, sur le béton. Notre analyse est constituée d’un monde d’informations virtuelles peu ou non vérifiables. De ce fait, la perception tactile de notre environnement est moindre.

Nous zappons les éléments essentiels qui constituent l’essence de nos territoires.

« La nature de la terre, amoureuse ou non ? Le relief, j’ai mal aux mollets !
L’hydrographie, je cherche de la fraîcheur… Non, j’ai froid, je cherche le soleil au sud… J’ai faim, c’est un pommier ?
Mais quel est ce bruit ? Je ne tiens pas debout, trop de vent… J’ai les pieds dans l’eau… Il y a du monde partout, je fais la queue pour manger… ».

Ces sensations et émotions sont indispensables à tout projet. Comprendre et ressentir le territoire est la clé incontournable pour la réussite et la pérennité de ce dernier.
Évidemment, nous sommes tous des professionnels et ce que j’écris n’apporte rien de nouveau !
Nous avons même les moyens de tout anticiper par des calculs ultra savants. Nous pouvons même prévoir la météo à dix jours.
Et pourtant… Les faits divers nous prouvent le contraire. La planète vit et, comme nous, elle peut être imprévisible.
Tsunami, éruption volcanique, typhon, vent violent, pluies « sceau d’eau »… Le ciel nous tombe sur la tête !
Exemple récent : un nuage s’est arrêté au-dessus des Alpes-Maritimes : 20 morts, 31 560 sinistrés, plus d’un milliard d’euros de dégâts ! Impossible d’anticiper, le nuage devait passer, selon la météo.
Exemples multiples : tapez « intempéries » sur le web et vous verrez que les dates des désastres sont de plus en plus nombreuses et rapprochées.
Réchauffement climatique ? Peutêtre…
Au paléolithique, le climat était chaud en France : que peut-on voir dans la grotte Chauvet ? Des rhinocéros, des hyènes, des lions… Cycle
naturel ou évolution du climat liée à l’espèce humaine ? Nos descendants nous le diront !
Chaos climatiques ? Sûrement ! Tornades, vents violents, pluies diluviennes, neiges abondantes…
Un peu, beaucoup, passionnément ! À qui la faute ? À la météo, elle ne prévient pas assez vite, dixit les médias ! Incroyable comme réponse de non sens.

EST-ON PRÉPARÉ ?

Oui, mais on n’est pas raisonnable.
Nous vivons dans un monde de paradoxes et de non-sens. Chaque jour en est la preuve. Nous créons des zones PPRI (Plan de prévention
du risque inondation) pour éviter les catastrophes. Hier, nous apprenions qu’un centre commercial était construit dans une zone PPRI entre deux rivières à Cagnes-sur-Mer ! À Saint-Gervais, une poche d'eau de 65 000 mètres cube, située sous le glacier de Tête-Rousse, menace la vallée. En cas de rupture, elle pourrait s'écouler en 15 à 30 minutes et près de 900 familles pourraient en pâtir. On préfère pomper l’eau de la montagne que de déplacer les habitants concernés.
Le glacier ne fondra plus ? Ne prend-on pas des risques inconsidérés ?
Mieux, dans la loi Alur, le coefficient d’occupation du sol n’existe plus (COS).
Intelligemment, avec une qualification HQE, une construction à énergie positive peut occuper la totalité d’une parcelle. Dans certains règlements de ZAC, la surface plantée permet qu’un arbre puisse être remplacé par des mètres linéaires de haies ou des surface engazonnées, mesure compensatoire.
Les toitures et façades végétalisées peuvent être comptabilisées dans les espaces verts, ce qui implique que 20 à 60 cm de substrat est considéré comme de la pleine terre ?
On exige aussi de plus en plus de places de stationnement par logement. Du coup, nous nous retrouvons face à des casse-tête qui induisent la construction d’écoquartiers sur dalles, sans espace de pleine-terre, mais avec des réservoirs de stockage d’eaux pluviales pour l’arrosage
des jardins en bac. Quid des débits de fuite ? Quelle capacité ? Quelle cohérence hydraulique entre écoquartier ?
Au fait, c’est quoi un écoquartier ? Une citée jardin, une ZAC ?
On plante verticalement, horizontalement, obliquement… dans 20 à 60 cm d’épaisseur de terre végétale souvent allégée. Ce sont des espaces verts ou des espaces de consommation à renouveler tous les dix ans ?
Dites-moi, où allons-nous planter le séquoia, le cèdre, le chêne, le platane… qui nécessitent un minimum de 300 m² pour
se développer et vivre 300 ans ?
On se sent mal quand un arbre de notre environnement disparaît. Les arbres valorisent le sol dans son épaisseur. Ils apportent une qualité environnementale et sont autant de repères « durables » dans nos paysages.
Question juridique : qui portera la responsabilité des désordres créés par les façades végétalisées et toitures jardins ? Les voisins, qui viennent entretenir le potager sur le toit de votre immeuble ? Le bureau d’étude, qui a sous-dimensionné les descentes d’eaux pluviales colmatées par la terre allégée, emportée lors d’un orage ? Qui va payer ? Les primo-accédants ?

Le volet paysager du permis de construire est aujourd’hui réduit au strict minimum. Évidemment, puisqu’il n’y a plus la place pour planter un arbre ! C’est un volet paysager ou un volet « politique de concertation ».
Lorsqu’il existait, en général un paysagiste le rédigeait, ce qui permettait d’avoir une vraie connaissance de la parcelle et de son environnement. Heureusement, il reste l’outil trame verte et bleue, mais sera-t-il suffisant pour imposer les aménagements susceptibles d’encaisser les effets des chaos climatiques ? Dans les grandes agglomérations, comment allons-nous faire ? En déconstruisant, par exemple, les abords des fleuves ? J’en doute.

STOP !

Retrouvons notre bon sens. Prenons le temps d’observer. Respectons le sol. Soyons attentifs aux alertes de « Dame nature ».
Développons des exploitations agricoles qui sont au plus proche de l’environnement, acteurs et gestionnaires du sol, véritables capteurs territoriaux d’alerte. Travaillons les sols de manière raisonnée, selon la permaculture, par exemple.

Construisons différemment avec des coefficients et notes de calculs amplifiés. Exploitons les imprimantes 3D pour tester nos models sous le robinet, devant le sèche-cheveux. Imaginons de nouvelles typologies d’architecture, peut-être aux formes aérodynamiques, aux structures flottantes… Créons des routes d’eaux reliant les trames vertes et bleues.
Dans les villes, laissons la place aux arbres, laissons la terre respirer, peutêtre avec plus de verticalité et moins d’horizontalité, multiplions les « poumons verts » source de biodiversité, offrons à nos enfants des toits solides dans des territoires inspirés de leurs jeux vidéo, tout en respectant le patrimoine légué par nos anciens.
Construisons là où la nature nous l’autorise. Les idées ne manquent pas...