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Point de vue de Béatrice Guedj, IEIF

Relais de croissance à l’inflation : la productivité comme nouveau paradigme

Selon les dernières données MSCI, les rendements immobiliers restent attractifs à 8,7 % sur un an. Toutefois, deux points sont à noter :
1) la France reste en tête de classement sur la performance globale essentiellement tirée par les rendements en capital (4,3 %). Mais en termes de rendements locatifs, la France fait tendanciellement moins bien que ses pairs avec un rendement à 4,2 % au regard d’un cycle économique plus porteur. Par grandes classes d’actifs, la hiérarchie des performances globales sur l’année n’est pas bouleversée : les bureaux en tête (9,8 %), suivis par les commerces (8,7 %), et les locaux d’activité (7,8 %).

2) En revanche, en termes de rendements locatifs, la hiérarchie n’est plus identique : les locaux d’activité enregistrent un rendement de 6,4 %, loin devant les commerces (4,2 %) et les bureaux (3,9 %). Ces observations permettent d’identifier un point de rupture quant aux moteurs des rendements et sur la dynamique des cycles de chacun des secteurs. La croissance des rendements, et des valeurs locatives de marché (VLM), est aujourd’hui essentiellement portée par la productivité, pas seulement en France puisque l’inflation, moteur de l’indexation des loyers, est contenue dans le monde.

La raison de cette inflation contenue est bien connue : elle s’explique par la moindre croissance des salaires réels, même si le taux de chômage observé est inférieur au taux de chômage non inflationniste comme aux États-Unis, au Japon, ou en Allemagne par exemple. Dans de nombreux pays, les salaires réels moyens n’ont pas progressé en raison d’une moindre croissance de la productivité moyenne du travail. Ces thématiques ne sont pas nouvelles : elles ont été largement discutées par les académiques depuis ces dix dernières années.

Pour rappel, le salaire réel est directement conditionné par la productivité du travail. Une cartographie européenne plus fine des salaires réels montre qu’il existe de fortes dispersions entre le rythme de croissance des salaires réels des métropoles et celui des villes plus secondaires.

Au sein des métropoles, la croissance de la productivité du travail s’est accélérée dans de nombreuses branches marchandes en liaison avec une concentration renforcée des cadres supérieurs, notamment des techies, les cols blancs techniques, pionniers ou enfants de l’économie numérique. Cette croissance a nourri les revenus et explique la surperformance des rendements locatifs en commerce dans certaines localisations. La forte productivité, associée à des emplois tertiaires à haute valeur ajoutée, explique également la hausse des rendements locatifs de bureaux dans les localisations hypercentre.

Dans les villes plus secondaires ou dans certains secteurs manufacturiers, la moindre concentration de cadres supérieurs, y compris des techies, a fait que la productivité du travail a décroché. Conséquence, les revenus se sont linéairement érodés, expliquant le déclin du commerce de centre-ville et l’apparition de quasi-friches commerciales. Au-delà de ce constat sur l’armature commerciale, une analyse de données sectorielles montre que les entreprises ont in fine substitué du capital au travail dans une logique de gains de productivité et d’efficience.

Dans les deux cas, métropoles et villes secondaires, ces phénomènes se sont autorenforcés.

Les productivités du travail et du capital restent les clés de la performance immobilière à moyen terme, relais de l’indexation pour booster les cash-flows, et donc les rendements locatifs. Expliquons simplement ces concepts a priori théoriques mais fondamentaux pour juger des perspectives de rendements en immobilier, toutes classes d’actifs confondues.

La productivité du travail dans les métropoles se renforce par un double effet : 1) une synergie des compétences entre individus : l’échange direct ou indirect contribue à accroître les phénomènes d’apprentissages mutuels au cœur de la productivité du travail ; de nombreux travaux empiriques mesurent les gains observés par le transfert tacite de compétences ; 2) la digitalisation, dont la diffusion est plus rapide dans les métropoles, renforce les compétences techniques des individus et impacte directement leur productivité.

La productivité du capital s’est accélérée et renforcée sous l’impulsion des investissements effectués en technologies de l’information et de la communication, et des infrastructures robotiques et intelligentes. Ces gains sont visibles dans le secteur de la logistique où les rendements locatifs se sont accélérés aux cours des dernières années.

Une analyse des marchés cotés permet d’illustrer nos propos, de prendre un peu de hauteur et surtout de comprendre le stock picking par les analystes des foncières à plus forte productivité.

Hors immobiliers, toutes les valeurs technologiques ont le vent en poupe depuis ces dernières années, des grandes américaines, mais aussi des petites françaises. L’indice CAC Small des 90 valeurs technologiques a surperformé tous ses homologues : sa hausse ressort à près de 29 % sur un an contre 19 % pour le CAC 40.

Côté marchés immobiliers français, l’indice IEIF des foncières à forte exposition parisienne, disposant d’un portefeuille d’actifs localisés dans l’hypercentre où la productivité moyenne est la plus élevée, est en hausse de 24 % contre une baisse de 6 % pour les foncières disposant d’un portefeuille plus exposé sur la province. En Espagne, toutes les foncières surperforment en liaison avec des portefeuilles d’actifs essentiellement localisés dans les métropoles à plus forte productivité du travail et du capital : Barcelone, Bilbao et Madrid.

En Grande-Bretagne, les marchés des REIT les plus résilients sont ceux de la logistique (Segro, Hansteen), où la croissance des VLM est portée par la très forte productivité du capital, et partout ailleurs en Europe où ces foncières détiennent de nombreux actifs. Ces REIT présentent des primes par rapport à leur ANR alors que les autres sont en décotes. La croissance de la productivité du travail en Grande-Bretagne a en effet été quasiment atone et la dépréciation de la livre ne suffira pas à pallier le déséquilibre structurel entre productivité du travail et du capital.

Le relais de croissance, alternatif à une indexation sous-potentielle au regard des tendances moyennes passées, est celui des VLM. Une analyse macroéconomique et sectorielle permet de montrer que le nouveau paradigme à court et moyen termes est celui de la productivité. La sélection des bassins de productivité aidera les investisseurs à un stock picking plus efficient, pour sécuriser des rendements.

Dans un contexte où l’indexation par l’inflation n’est plus le moteur principal de la rentabilité courante, la croissance des VLM doit prendre le relais pour dynamiser les cash-flows, car l’indexation n’est plus une condition suffisante pour booster les rendements locatifs. Cette croissance des valeurs locatives à moyen terme sera essentiellement générée dans les localisations ou les secteurs qui enregistrent une forte croissance de la productivité du travail ou du capital, tous secteurs confondus. Le marché coté n’est qu’un proxy d’une tendance structurelle à venir en investissement direct.

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