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Point de vue de Nicolas J.A. Buchoud, Jean-Luc Mouly, Bertrand Ousset & François Boneu

Comment répondre aux trois grands défis sociaux du Grand Paris

© Jonathan Stutz / Fotolia

À quoi bon innover, à quoi bon les querelles institutionnelles sans fin pour bâtir dans le Grand Paris « la métropole la plus attractive du monde » si ce n’est pas en ayant les solidarités sociales et spatiales et l’inclusion comme objectif ? Au lendemain de la publication des résultats de l'appel à projets Inventons la Métropole du Grand Paris, c'est l'occasion de revenir sur les conclusions du dernier forum du Cercle Grand Paris de l’investissement durable sur le thème « Innovation, solidarités, gouvernance : quel contrat pour le Grand Paris (et les métropoles) ? »

À quoi bon innover sans solidarité ?

En cet automne 2017, on célèbre les 40 ans d’un ouvrage longtemps oublié, Le Droit à la ville, du sociologue français Henri Lefebvre. Les maires de villes de banlieues lancent un cri d’alarme sur la dégradation des conditions de vie dans les quartiers en politique de la ville, sous la forme de « L’appel de Grigny ». Dans le même temps, la controverse fait rage à quelques semaines de la conférence territoriale sur le Grand Paris annoncée par le président de la République. Les termes du débat semblent les mêmes qu’en 2013 lors de la préparation de la loi MAPTAM : intégration métropolitaine poussée à l’échelle de la zone dense versus grande région métropolitaine, sur fond de suppression des départements de la première couronne parisienne et d’incertitudes sur les compétences et le financement des établissements publics territoriaux et de coopération intercommunale.

Le fond de scène a légèrement changé toutefois, comme le souligne un récent rapport conjoint de l’Apur et de l’IAU Île-de-France paru au début du mois d’octobre 2017 et qui tire un « Bilan de la mise en œuvre de la réforme territoriale ». Une forme de rationalisation métropolitaine serait ainsi à l’œuvre au niveau des outils publics d’aménagement et des grands syndicats de services publics, SYCTOM (déchets ménagers), SEDIF et Eau de Paris, ex SAGEP (eau potable), SIAAP (assainissement), SIPPEREC (énergie et réseaux de communication) dont les périmètres d’intervention s’adaptent – certes encore très imparfaitement – à la zone dense. Mais jamais les fragmentations sociales et territoriales n’ont été aussi importantes. Aujourd’hui dans le Grand Paris, plus les richesses s’accumulent et se concentrent au cœur de l’agglomération, plus les fragmentations spatiales et sociales s’accélèrent. C’est toute l’ambiguïté des dynamiques métropolitaines à l’œuvre. Or, à force de se focaliser sur les grands projets, les grands événements, les grandes infrastructures, ou sur l’innovation, nous avons fini par oublier que sans solidarité ni fraternité, nous finirons par innover sans progrès.

Des inégalités sociales et spatiales en forte croissance

« Les inégalités de revenus et de richesses progressent dans la première région économique de France qui est aussi, et de très loin, la plus inégalitaire », a rappelé Jean-Luc Mouly, président de Caritas France/Secours catholique Île-de-France, lors du dernier Forum du Cercle Grand Paris de l’investissement durable. Confirmant les constats posés un an plus tôt dans le remarquable rapport « La fracture territoriale. Analyse croisée des inégalités en Île-de-France » publié en février 2016, il y a décrit des disparités croissantes de richesses à l’intérieur des départements, des villes, des quartiers, telles que « personne n’y échappe ». La tendance mesurée au cours des dix voire des cinq dernières années révèle un accroissement de ces disparités.

« Les départements les moins favorisés d’Île-de-France deviennent encore plus pauvres. Les communes les plus pauvres de chaque département voient leur situation se dégrader un peu plus chaque année. » Plus inquiétant encore, cette situation affecte également la santé et l’éducation. En matière de santé, cette disparité se traduit aussi bien par un taux de mortalité due au cancer plus élevé, qu’une progression de l’obésité ou de l’insécurité alimentaire. Ainsi, l’Agence régionale de santé concluait son rapport de juin 2015 par ce constat : « Si la région est en bon état de santé au global, il existe des inégalités majeures. »

L’isolement social progresse à l’heure de l’hyperconnectivité

Bertrand Ousset, président de la Fondation Frédéric Ozanam et ancien président de la Société Saint-Vincent-de-Paul, souligne l’importance de l’engagement bénévole à l’heure de l’économie numérique, qui promeut bien souvent et tout à l’opposé des promesses de gains rapides. Pour lui, les collectivités publiques ne peuvent à elles seules agir suffisamment dans des domaines comme la lutte contre l’isolement social, qui menace la cohésion sociale tout entière. « L’engagement citoyen, bénévole, au service des associations telles que les nôtres doit répondre à la fraternité qui constitue une composante essentielle de notre devise républicaine. »

Ces propos font écho au rapport « Combattre l’isolement social pour plus de cohésion et de fraternité » publié par le Conseil économique social et environnemental (CESE) au mois de juin 2017 et dirigé par Jean-François Serres. Il montre que l’isolement social progresse à mesure que se développe l’hyperconnectivité digitale. « La démographie, la dématérialisation des relations, la réduction de l’accessibilité des services, la disparition des commerces et des lieux de convivialité, la faible densité médicale dans certains territoires, mettent eux aussi à l’épreuve le lien social. Le tissu de collectifs de proximité est affaibli et c’est finalement aux personnes qu’il revient de trouver, seules, les ressources suffisantes pour se "socialiser". Se dessine une sorte de marqueur social entre ceux qui savent nouer des liens, se constituer "un capital social" important, et les autres. »

La mixité n’est plus qu’un souvenir

Alors que le monde s’urbanise et se métropolise en réseaux urbains, les ressorts du développement territorial sont en pleine transformation. Le président de la Fédération Habitat et Humanisme en Île-de-France, François Boneu, et Bertrand Avril, ont ainsi annoncé, à l’occasion du 6e Forum du Cercle Grand Paris de l’investissement durable, le lancement d’une étude et d’une enquête qui dressera un état des lieux de la question et formulera, d’ici à la fin de l’année, des propositions d’action. La mixité sociale et spatiale est à repenser. Fortement critiquée au profit de la notion de mixité fonctionnelle, la mixité sociale et spatiale reste un marqueur du développement des territoires, comme le rappellent les travaux de Serge Paugam qui analyse depuis une vingtaine d’années les facteurs d’exclusion à l’œuvre dans les mégalopoles et qui vient de conclure une grande enquête comparative sur les perceptions de la pauvreté. Des progrès significatifs ont été réalisés depuis une dizaine d’année en matière de construction de logements en Île-de-France, permettant presque d’atteindre l’objectif annuel de construction de 70 000 logements par an. Mais ce succès quantitatif ne s’accompagne pas d’un succès qualitatif. Les territoires métropolitains se spécialisent et la production de valeur ajoutée dans l’immobilier se concentre plus que jamais dans quelques territoires. C’est ce que montre une autre excellente étude réalisée par l’Institut de l’Épargne Immobilière et Foncière (IEIF) dirigée par Gilbert Emont en 2016-2017 sur les fractures territoriales en Île-de-France et plus précisément dans les territoires de la Métropole du Grand Paris. L’attractivité de la métropole francilienne cache de très fortes disparités entre une capitale riche voire opulente, où les prix s’envolent et continuent de chasser les classes populaires et moyennes, et des territoires qui décrochent avec une croissance démographique naturelle et migratoire quasi nulle, comme l’ont souligné les intervenants d’une rencontre de l’Institut Palladio au début de l’année 2017. Cette asymétrie est le reflet territorial de la paupérisation des territoires métropolitains. Au sein du périmètre actuel de la Métropole du Grand Paris, cinq territoires représentant près de deux millions d’habitants seraient ainsi en situation de décrochage.

Un appel et des propositions

Les atouts du Grand Paris sont très nombreux mais une réponse largement concertée pour rééquilibrer innovation et cohésion sociale et territoriale ne saurait être différée. Nous lançons un appel pour un Grand Paris des solidarités. Fragmentions sociales et spatiales, paupérisation, isolement, ne constituent pas l’envers de la médaille métropolitaine. Ces phénomènes sont constitutifs du développement métropolitain au même titre que l’attractivité pour les capitaux.

1- Nous proposons de revoir la définition des indicateurs de pauvreté en y associant les personnes vivant la pauvreté. Une grande étude internationale lancée en 2016 par ATD Quart Monde avec l’université d’Oxford ouvre la voie et a d’ores et déjà posé de solides jalons.

2- Nous relayons les propositions du rapport de Caritas France Secours catholique et notamment la création d’un observatoire chargé de mesurer chaque année l’évolution de l’équilibre territorial de l’Île-de-France, qui pourrait être composé de représentants de l’État, de la région et des collectivités métropolitaines et du secteur associatif.

3- Nous soutenons la proposition d’une initiative métropolitaine contre l’isolement social, qui pourrait s’articuler sur les mêmes principes et une organisation comparable à celle de l’initiative Monalisa.

4- Parce que les territoires métropolitains du Grand Paris sont à la jonction d’enjeux locaux et globaux, nous proposons d’articuler aux côtés des politiques publiques un « Metropolitan Compact » associant entreprises, société civile, universités et collectivités dans une nouvelle approche de l’investissement durable, déclinant à l’échelle métropolitaine les principes du Global Compact et les Objectifs de développement durable (ODD). Il s’agit notamment de croiser les financements liés à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises avec les investissements publics de long terme.

5- Il s’agit aussi d’explorer les liens entre finance solidaire et financement du logement, comme l’a récemment proposé le directeur du département de conseil immobilier de DeloitteChristian Gillet. Au-delà de la prochaine conférence territoriale sur le Grand Paris marquée par des enjeux très institutionnels, nous plaidons pour la tenue d’assises sur les solidarités métropolitaines qui se tiendraient d'ici le printemps 2018. Comme le soulignait Philippe Laurent, secrétaire général de l’Association des maires de France en clôture du forum du Cercle Grand Paris « le rééquilibrage reste un des fondamentaux de la métropole ».