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Savin-Martinet Associés

Patricia Savin

En 2010, le gouvernement et les tribunaux ont fait vivre aux acteurs du photovoltaïque des moments de très grande « intensité » ! Les mauvaises surprises n'ont fait que se cumuler avec notamment la baisse des tarifs avec effet rétroactif. Les mesures annoncées le 5 mars 2011 ne semblent pas aller vers une sécurisation juridique claire du cadre réglementaire, ni vers une prévisibilité des tarifs de rachats.

Photovoltaïque
2010 : l'année de tous les dangers
2011 : l'année de la mort de la filière ou de sa pérénisation ?

Les moments forts de 2010-2011 : des décisions de justice peu favorables aux opérateurs (I) ; un nouveau cadre réglementaire publié le 5 mars 2011 soulevant de nombreuses interrogations (II) ; pour rappel, 2010 a été l'année des tarifs revus constamment à la baisse avec effet rétroactif et des conditions d'attribution durcies, pour aboutir à la mise en place d'un moratoire total de trois mois fin décembre 2010 stoppant net des projets et mettant en faillite de nombreux acteurs de la filière (III).

I. 2010-2011 : des décisions de justice peu favorables aux opérateurs

L'année 2010 a, tout naturellement, été caractérisée par une multiplicité de recours contentieux pour s'opposer à la position particulière d'EDF-EN ; au caractère rétroactif de l'arrêté tarifaire de janvier 2010 modifié en mars 2010 ; au décret de décembre 2010 portant gel de situation en cours et enfin à un article 88 de la loi Grenelle II qui a décidé, dans la plus grande discrétion, que les contrats de droit privé passés entre EDF et tout opérateur relevaient non plus des juridictions judiciaires, mais des juridictions administratives.

Hormis une ordonnance de référé rendue par le Tribunal administratif de Nîmes le 1er octobre 2010 qui a retenu le non-respect, par EDF-EN, des conditions d'une concurrence loyale, dans le contexte de l'adoption de baisse du tarif d'achat prévu par l'arrété du 31 août 2010, la plupart des décisions de justice rendues à partir de fin 2010 ont été peu favorables aux opérateurs.
Le 13 décembre 2010 (Green Yellow c/ EDF), le Tribunal des Conflits a retenu la non application de l'article 88 précité de la loi Grenelle aux litiges en cours à la date de sa publication, en confirmant, qu'ensuite, les tribunaux administratifs sont bien seuls compétents pour connaître des litiges de droit privé entre EDF et tout opérateur.

Par une décision du 19 janvier 2011, le Conseil d'Etat a statué sur la demande de contrôle de constitutionnalité des dispositions des articles III et IV de l'article 88 de la loi du 12 juillet 2010, dite Grenelle 2, ayant, d'une part, validé les arrétés rétroactifs du 12 janvier 2010 et, d'autre part, qualifié le contrat d'achat d'électricité « d'administratif ». Le Conseil d'Etat a refusé de transmettre au Conseil constitutionnel la question de la validité constitutionnelle (QPC) des dispositions précitées en justifiant ce refus par le fait que « le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, (...) à  la condition de poursuivre un but d'intérét général suffisant (...) » et qu'en l'espèce, « les dispositions du IV de l'article 88 répondent à un but d'intérét général suffisant », à savoir qu'il ne pèse pas sur les consommateurs d'électricité une charge excessive liée à la multiplication des demandes de contrat d'achat d'électricité compte tenu notamment du financement par ces derniers du surcoût du tarif de rachat.
Par son ordonnance du 28 janvier 2011, le juge des référés du Conseil d'Etat a rejeté des demandes de suspension du moratoire fixé par le décret de décembre 2010 pour défaut d'urgence, en relevant que la mesure contestée (le moratoire) est motivée par la nécessité de réexaminer le système incitatif compte tenu du dépassement prévisible des objectifs de programmation pluriannuelle. Eu égard à la faible durée de la suspension, le juge des référés a écarté l'argument selon lequel ce décret créerait une situation d'urgence écologique et énergétique en compromettant le développement des énergies renouvelables. Bien que le juge des référés ait reconnu que le décret risquait d'entraîner, pour les entreprises concernées, un préjudice économique, il a constaté que ce préjudice devait étre mis en balance avec l'intérét public qui s'attache au réexamen du système incitatif financé par les consommateurs. Le moratoire est donc resté en place jusqu'en mars 2011.

Force est de constater que les arguments du gouvernement sur la charge pesant sur les consommateurs semble motiver fortement la plupart des décisions précitées qui opèrent ainsi une comparaison entre les intéréts des consommateurs et les intéréts des entreprises concernées. A notre sens, cette comparaison est hors de propos, les entreprises (productrices de valeurs et employant de nombreux « consommateurs ») demandant simplement à pouvoir se développer dans un cadre juridique stable et prévisible, et non pas soumis à l'arbitraire imprévisible du gouvernement qui promulgue des textes avec application rétroactive !

II. 2011 : l'année de mise en place d'une nouvelle réglementation enfin sécurisée ?

Suivant plus ou moins les propositions du rapport Charpin-Trink remis le 18 février 2011, le nouveau cadre de régulation du photovoltaïque, prévu pour entrer en vigueur le 10 mars 2011, est fixé, à la date de rédaction du présent article, par un décret et deux arrétés en date du 4 mars 2011.

Le décret 2011-240 du 4 mars 2011 modifie le décret 2001-410 en précisant que « les exigences techniques et financières à satisfaire pour pouvoir bénéficier de l'obligation d'achat [...] peuvent notamment inclure la fourniture de documents attestant de la faisabilité économique du projet, la fourniture d'éléments attestant de l'impact environnemental du projet ainsi que le respect de critères techniques ou architecturaux de réalisation du projet. »

Un premier arrété  du 4 mars 2011 abroge l'arrété du 31 août 2010, tout en maintenant le droit aux dits tarifs pour les installations de moins de 3 kWC ayant fait l'objet d'une demande complète de raccordement sous un certain délai, ainsi que les installations entrant dans le champ d'application des articles 3 et 4 du décret du 9 décembre 2010 portant moratoire.

Le second arrêté fixe les conditions d'achat de l'électricité produite avec des tarifs d'achats de nouveau abaissés et un mécanisme d'ajustement des tarifs d'achat chaque trimestre en fonction du volume de projets déposés durant ledit trimestre : mécanisme amenant, par définition, une non prévisibilité sur 20 ans du tarif de rachat par EDF, et donc une très grande difficulté à organiser le financement de telles centrales !

Dans un communiqué de presse en date du 5 mars 2011 du ministère de l'Ecologie, du Développement durable, des Transports et du Logement, ainsi que du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, le nouveau dispositif réglementaire est décrit comme suit : « Après consultation du Conseil supérieur de l'énergie et de la Commission de régulation de l'énergie, les textes réglementaires sur le nouveau cadre de régulation du photovoltaïque ont été publiés au Journal officiel le 5 mars 2011. Le nouveau dispositif comporte un système de tarifs ajustés trimestriellement pour les installations de moins de 100 kWc (environ 1 000 m² de panneaux) et des appels d'offres pour les autres installations. Les exigences seront accrues sur la qualité environnementale et industrielle des projets avec notamment l'intégration d'obligations de recyclage en fin de vie et de démantèlement à compter de l'été 2011 et de l'obligation de fourniture d'une analyse de cycle de vie à compter du 1er janvier 2012. Les projets hors installations résidentielles devront aussi fournir une attestation bancaire ou une offre de prêt afin d'attester de la durabilité et du sérieux des projets. Les tarifs d'achat sont valables à partir du 10 mars 2011 et sont fixés à 20 % en dessous du tarif en vigueur au 1er septembre 2010 puis ajustés trimestriellement en fonction des volumes de projets déposés et des baisses de coûts attendues estimées à 10 % par an. Suivant les recommandations du Conseil supérieur de l'énergie et de la Commission de régulation de l'énergie, le premier trimestre s'arrêtera le 30 juin 2011 pour une meilleure lisibilité des dates d'évolution. Le dispositif d'attestation bancaire a également été simplifié. De plus, devant le succès des énergies renouvelables en Corse et en outremer, afin de garantir la sûreté des réseaux dans ces territoires et poursuivre un développement régulé, le seuil à partir duquel des dispositifs d'effacement doivent être mis en place pour prévenir des saturations est abaissé. Cette mesure sera totalement transparente pour les installations photovoltaïques domestiques. Une flexibilité nouvelle est introduite pour les grandes installations avec l'encouragement de dispositifs de stockage d'énergie. »

Les notions « d'appel d'offre » et « d'ajustement tarifaire trimestriel » sont autant de notions pouvant permettre le plus grand arbitraire et absence de prévisibilité !

III. Rappel des péripéties de 2010 : tarifs revus à la baisse; durcissement des conditions d'attribution et moratoire

Rappelons que le 14 janvier 2010, le ministère de l'Ecologie a publié un arrêté fixant les nouveaux tarifs d'achat de l'électricité photovoltaïque (à la baisse) applicable rétroactivement à toute demande d'achat réalisées à compter du 1er novembre 2009 non dotées d'une demande complète de raccordement au réseau public.

Le 16 mars 2010, un 1er arrêté a durci les conditions d'application des anciens tarifs aux installations mises en service après le 15 janvier 2010. Un 2ème arrêté a exclu la prime d'intégration au bâti pour les projets d'une puissance supérieure à 250 kWc.

Le 31 août 2010, un nouvel arrêté a abrogé l'arrêté précité du 12 janvier 2010 et a fixé une baisse générale de 12 % des tarifs, à l'exception des installations domestiques de puissance inférieure à 3 kWc et des installations pour lesquelles une demande complète de raccordement avait été adressée avant le 1er septembre 2010.

Autant d'arrêtés qui ont mis à mal la visibilité du système, avec des régimes transitoires dérogatoires incertains et des régimes rétroactifs.

L'année 2010 s'est achevée par l'adoption, le 9 décembre, du décret 2010-1510 suspendant l'obligation d'achat d'électricité pendant trois mois pour les projets de plus de 3 kWC, à savoir les projets nécessitant le plus de visibilité et de sécurité juridique ! De nombreux projets engagés depuis de nombreux mois et ayant mobilisé des équipes importantes furent purement et simplement gelés, voir, dans la majorité des cas, abandonnés. Les installations de plus de 3 kWC ont pu prétendre au maintien des tarifs d'août 2010, à la condition, d'une part, que le producteur ait notifié au gestionnaire de réseau, avant le 2 décembre 2010, son acceptation de la PTF, et d'autre part, que la mise en service de l'installation (à savoir son raccordement au réseau) ait été réalisée dans un certain délai fixé par le décret (principalement dans les 18 mois de la notification de l'acceptation de la PTF) (art. 3 et 4 du décret).

Autant la condition d'acceptation de la PTF avant le 2 décembre 2010 est un élément aisé à maîtriser pour les opérateurs qui connaissent leur date de notification d'acceptation de PTF. Autant la certitude de raccordement au réseau dans le délai fixé (18 mois de cette notification) dépend de nombreux acteurs et données extérieures sur lesquels les opérateurs n'ont pas la maîtrise. Par ailleurs, le financement de tels projets s'est avéré des plus délicats au regard de cette date « couperet » de mise en service permettant ou non le droit aux tarifs.

Pour les installations ne pouvant pas prétendre aux anciens tarifs, aucune nouvelle demande de rachat de l'électricité produite ne pouvait être déposée jusqu'au 11 mars 2011.

C'est dans ce contexte de « grogne » généralisée amplement justifiée et compréhensible, que sortent les arrêtés du 4 mars 2011 qui pour autant, à la date de rédaction du présent article, sont loin de répondre à toutes les attentes légitimes de sécurité juridique et de prévisibilité du tarif. De nombreuses interrogations demeurent et devront être levées pour sécuriser, enfin, la filière, notamment pour les projets de plus de 100 kWC.

Au-delà de la question des tarifs, le gouvernement a annoncé la mise en place d'un groupe de travail chargé d'approfondir la réflexion portant sur la création d'un fonds de garantie des projets permettant de diminuer les risques et soutenir une filière française ; le soutien au développement de l'autoconsommation ; la mise en place d'une certification pour les installateurs ; le renforcement des capacités à l'export des acteurs de la filière ; la sécurité des bâtiments en cas d'incendie.

Ainsi, selon les résultats des travaux de ce groupe de travail, la règlementation est encore amenée à poursuivre son évolution-révolution... pour le maintien de la filière photovoltaïque ou sa mort ?

Par Patricia Savin, avocate associée au Barreau de Paris, Docteur en droit,
Cabinet Savin Martinet Associés, www.smaparis.com


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