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Point de vue de Thibault Jézéquel, Mazars société d'avocats

L’importance de la formalisation par les sociétés de gestion immobilières du recours à l’externalisation de prestations et délégation de fonctions

AMF © Business Immo

Dans le contexte de la publication, le 10 janvier dernier, des priorités de supervision et des thématiques de contrôles Spot (supervision des pratiques opérationnelle et thématique) de l’Autorité des marchés financiers (AMF) pour 2019, les sociétés de gestion de portefeuille (SGP) immobilières peuvent légitimement être amenées à s’interroger sur le degré d’attente du régulateur concernant les thématiques les impactant plus directement.

Pour rappel, et comme précédemment évoqué lors d’un précédent article[1], l’AMF va mener cette année une session de contrôles Spot visant spécifiquement les SGP immobilières et portant sur la thématique de l’externalisation intragroupe de prestations immobilières et les conséquences susceptibles d’en découler. Preuve s’il en est de l’importance du sujet pour le régulateur, ce dernier a précisé que des contrôles classiques seront également réalisés sur ce thème.

En raison de la sensibilité du sujet et de l’impact de ces pratiques sur le dispositif de maîtrise des risques des SGP, l’externalisation de prestations et la délégation de fonctions doivent faire l’objet d’une formalisation appropriée, que celles-ci soient réalisées intragroupe ou en externe. L’ensemble de ce corpus documentaire servira ainsi de base à l’AMF pour mener à bien ses contrôles, tout en s’assurant que le principe de permanence des moyens est toujours respecté, que la SGP demeure pleinement responsable du respect de ses obligations professionnelles et que les risques liés à ses activités soient correctement maîtrisés (en particulier le risque opérationnel et le risque de conflits d’intérêts).

Un examen attentif du programme d'activité

En premier lieu, le programme d’activité de la SGP présente de l’intérêt pour l’AMF en ce qu’il définit les tâches et fonctions essentielles externalisées et déléguées par la société. Ce document doit ainsi préciser les éléments suivants : personnes ou services en charge de la sélection et du suivi des prestataires et délégataires, principaux critères retenus en vue de leur sélection, périodicité d’évaluation, modalités d’échanges d’information, contrôles prévus et périmètre de l’externalisation ou délégation retenu. Tout contrat d’externalisation ou de délégation de la gestion financière doit également être annexé au dossier d’agrément. Pour les SGP intégralement soumises aux dispositions de la directive AIFM, la fiche complémentaire 1.1 bis relative à l’agrément AIFM doit également être complétée pour détailler les conditions des délégations données.

L’AMF doit d’ailleurs être tenue informée des évolutions des schémas de délégation et d’externalisation mis en place par la SGP. À titre d’exemple, toute modification envisagée en matière d’externalisation de tâches ou fonctions opérationnelles liées à la fourniture du service de gestion de portefeuille ou encore de délégation de gestion financière de fonds d’investissement doit faire l’objet d’une déclaration immédiate auprès du régulateur. En effet, toute délégation ou externalisation ne doit pas altérer les conditions ou engagements auxquels était subordonné l’agrément de la SGP.

Des contrats d'externalisation et de délégation très encadrés

En deuxième lieu, l’AMF requiert que les contrats d’externalisation et de délégation soient précis et définissent clairement les droits et obligations respectifs des parties. Concrètement, l’AMF recommande que les contrats d’externalisation et de délégation comprennent des clauses portant sur les éléments suivants : (i) fonctions, tâches et périmètre de la délégation ou externalisation, (ii) responsabilité de la SGP, (iii) description des moyens qualitatifs et quantitatifs du prestataire ou délégataire ainsi que de ses éventuelles habilitations, (iv) mode de rémunération du prestataire ou délégataire, (v) conditions et modalités d’information de la SGP en cas de dysfonctionnement ou d’événement sensible, (vi) conditions de protection des informations confidentielles ayant trait à la SGP ou à ses clients par le prestataire ou délégataire, (vii) description du plan d’urgence mis en place par la SGP et le prestataire ou délégataire pour permettre le rétablissement de l’activité après un sinistre (incluant un contrôle régulier des capacités de sauvegarde), (viii) description des mesures appropriées que la SGP prendra s’il apparaît que le prestataire ou délégataire risque de ne pas s’acquitter de ses tâches ou fonctions de manière efficace ou conforme à ses obligations professionnelles, (ix) faculté pour la SGP qui externalise ou délègue de contrôler son prestataire ou délégataire, (x) modalités ou conditions de résiliation du contrat d’externalisation ou délégation et sa durée, et (xi) droit applicable.

Mais au-delà de ces clauses essentielles, l’AMF serait également encline à analyser les conditions tarifaires des prestations déléguées ou externalisées afin de les confronter aux pratiques et prix de marché habituellement pratiqués.

Un dispositif de sélection et de suivi des prestataires à formaliser

En troisième lieu, l’AMF s’attend également à ce que le processus de sélection et de suivi des délégataires et prestataires de la SGP fasse l’objet d’une documentation appropriée. Dans ce cadre, une procédure interne – détaillant le processus de sélection des prestataires et délégataires (incluant les critères de sélection propres à chacune des prestations), les intervenants et modalités de prise de décision, les modalités d’évaluation du niveau de performance et de suivi des prestations rendues afin de pouvoir les contrôler – doit permettre à la SGP de démontrer qu’elle conserve une valeur ajoutée dans la maîtrise des risques engendrés par l’organisation qu’elle a souhaité mettre en œuvre. En ce qui concerne la délégation de la gestion des fonds d’investissement, l’AMF s’attend également à ce que le gestionnaire puisse être en mesure de motiver objectivement l’ensemble de sa structure de délégation (exemples : qualification et capacité du délégataire à exercer les fonctions déléguées ou encore agrément du délégataire de la gestion financière).

En outre, l’AMF va veiller à évaluer la robustesse et l’efficacité du dispositif de prévention et de gestion des conflits d’intérêts, notamment à la lumière de situations susceptibles d’être induites par ces schémas organisationnels (procédure interne dédiée, cartographie des situations de conflits d’intérêts potentiels, registre des conflits d’intérêts avérés, etc.).

La synthèse des contrôles Spot, qui sera publiée par l’AMF à l’issue de cette session, permettra de confirmer l’importance et la complémentarité de ces différents éléments aux yeux du régulateur. Elle apportera aussi un éclairage sur les bonnes et mauvaises pratiques observées chez les acteurs contrôlés.

[1] T. Jézéquel, « Externalisation intragroupe de prestations immobilières : une priorité de supervision et de contrôle de l’AMF en 2019 », site internet de Business Immo, 24 janvier 2019.

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