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Gilles Hittinger-Roux, HB & Associés

Faiblesse mineure ou force majeure

© Aerial Mike / Adobe Stock

Il m’a semblé plus utile d’interroger le ministre de la Justice sur le sort des loyers en période de confinement, plutôt que Monsieur le ministre de l’Économie qui a déjà pris un texte au profit des TPE, écartant par là même toutes les autres structures commerciales, civiles…

En l’absence de dispositions spécifiques, le droit commun doit s’appliquer aux rapports entre bailleurs et locataires, conformément à l’adage « Specialia generalibus derogant ».

Ainsi, pour maintenir le contrat de bail, pendant la durée du confinement et de ses suites, les parties envisagent la mise en œuvre de la force majeure prévue à l’article 1218 alinéa 2 du Code civil (ou l’ancien article 1148 du Code civil avant la réforme du droit des obligations).

La difficulté de ce texte porte sur l’interprétation de la notion de « suspension » du contrat.

La démarche auprès des services de la Chancellerie porte sur l’interprétation de cette notion, afin d’éviter un contentieux de masse.

Cette question intéresse tout aussi bien bailleurs que locataires, et pourrait faire l’objet de réponses différentes selon la situation du local (centre-ville, centre commercial) et selon la nature de l’activité, si elle est essentielle ou non à la vie de la Nation.

Malgré les 4 milliards d’individus concernés par les mesures de confinement, certains conseils prétendent encore que la force majeure ne pourrait être retenue, au regard des décisions rendues précédemment pour d’autres crises sanitaires.

D’autres considéreraient que l’un des critères de la force majeure ferait défaut, à savoir, l’irrésistibilité, au motif que des décisions ont été rendues, lesquelles considèrent que la force majeure ne peut être opposée à une obligation de paiement.

Appliquer cette jurisprudence au cas présent, reviendrait à créer la situation paradoxale suivante.

L’État, considérant que l’épidémie de Covid-19 constitue un cas de force majeure et pour prévenir des faillites en cascades, a permis à un grand nombre d’acteurs économiques d’emprunter.

Le bailleur ayant connaissance des lignes de crédit octroyées aux locataires, ferait prévaloir l’absence de force majeure du fait du financement.

Ainsi, le bailleur aurait l’assurance de son paiement, en écartant la force majeure grâce aux crédits de l’État.

Avec ce dispositif, le contribuable serait le dernier redevable et pallierait l’absence de solidarité du bailleur.

C’est inacceptable.

La force majeure n’est pas à géométrie variable.

Aucun individu raisonnable ne peut accepter les solutions du passé qui viendraient gouverner le présent immédiat et notre futur, au regard d’une situation totalement inédite.

La seule solution pour maintenir le tissu économique et le contrat est de considérer que la suspension du contrat doit s’analyser en une mise en léthargie des obligations des parties, comme l’évoquaient les jurisconsultes tels que Capitant ou Carbonnier.

C’est la position d’ores et déjà retenue par certaines foncières, telles que la Compagnie de Phalsbourg, la Socri, Ikea (Ingka).

Cette analyse n’est qu’une modalité des dispositions de l’article 1104 du Code civil, aux termes duquel le créancier d’une obligation doit faciliter son exécution.

Il est donc inenvisageable de considérer que la suspension permettrait au bailleur de simplement différer le paiement, dans la mesure où ce résultat pourrait être obtenu par l’application de l’article 1343-5 du Code civil.

Sauf à obtenir du législateur la mise en place d’un fonds de garantie ou toute autre disposition protectrice de l’immobilier commercial, seuls les effets de la force majeure, tels qu’interprétés ci-dessus, seraient un mécanisme salvateur.

C’est dans cet esprit que j’ai interpellé Madame la ministre de la Justice.

Et ma démarche s’inscrit dans la volonté de Monsieur le président de la République qui souhaite, pour sauver l’économie, un effort partagé de tous.

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