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Point de vue de Philippe Riglet, CMS Francis Lefebvre Avocats

Propriétaire des murs et exploitants : comment gérer et résoudre les conflits

© AnirutKhattirat / Adobe Stock

Les mesures radicales et inédites prises par le gouvernement afin de ralentir l’expansion du Covid-19 de confinement de la population et de fermeture des établissements non indispensables à la vie de la Nation ont entraîné un cataclysme économique pour les exploitants des commerces, et tout particulièrement dans le secteur de la restauration et de l’hôtellerie.

Face à cette pandémie, les exploitants et les bailleurs propriétaires des murs se trouvent dans une situation radicalement antagoniste, dont la presse s’est fait l’écho, les uns ayant un besoin vital de réduire les coûts fixes en l’absence totale de chiffre d’affaires, quand les autres doivent préserver le flux des loyers pour rembourser les échéances bancaires.

La solution ne peut pas reposer sur un seul des acteurs de la chaîne, l’exploitant, sous peine de voir s’effondrer comme un jeu de dominos l’ensemble des pièces de l’édifice et de devoir faire face à une guerre judiciaire qui sera à la fois très difficile à résoudre dans le temps, compte tenu de l’arrêt des tribunaux pendant le confinement, et marquée d’un fort aléa pour l’ensemble des belligérants.

Il faut que tous les acteurs aient conscience que le droit français, dans ce bouleversement économique, offre au juge, s’il veut s’en saisir, tout l’arsenal nécessaire pour s’immiscer dans la relation contractuelle entre le bailleur et le preneur, et adapter le contrat pour retrouver l’équilibre économique initial.

On a beaucoup écrit sur la force majeure qui ne dispenserait par le preneur de régler ses loyers, même s’il devait se ruiner. Les exemples tirés des jurisprudences rendues à propos des précédentes épidémies tels que le SRAS sont des faux amis. Car il ne s’agit pas de savoir si l’épidémie du coronavirus constitue un cas de force majeure en soi, ce dont on peut douter, mais bien de savoir si les mesures administratives prises par le gouvernement de fermeture des lieux loués recevant du public ne viennent pas percuter l’exécution du contrat par les deux parties, ce qui laisse la voie pour le juge à la suspension des obligations et à l’adaptation du contrat.

Tous les instruments juridiques sont à la disposition du juge s’il souhaite jouer son rôle régulateur, de l’exception d’inexécution à l’imprévision nouvellement introduite dans notre droit privé, en passant par l’obligation de renégocier de bonne foi en présence d’un bouleversement des circonstances. De nombreuses clauses de renonciation, notamment à l’imprévision ou à l’exception d’inexécution, stipulées dans les baux dits « investisseurs » risquent par leur radicalité et leur récurrence d’être remises en cause par les tribunaux sur le terrain du contrat d’adhésion et du déséquilibre significatif introduit dans notre nouveau droit des obligations, car leur portée sera interprétée à la lumière du bouleversement économique.

Le juge tranchera. Mais le temps judiciaire n’est pas celui des affaires. Et il n’est pas certain que les parties aient intérêt à laisser le juge réviser les accords contractuels. Il est dès lors nécessaire de trouver des solutions innovantes qui devront intégrer tous les acteurs de la chaîne, l’exploitant, le bailleur, le financier, ainsi que l’État. Ce dernier, et à travers lui le contribuable, a fait sa part avec le les aides financières, les prêts garantis par l’État et, tout récemment, une mesure fiscale permettant aux bailleurs qui abandonnent des loyers de les déduire…

Pendant la période de fermeture des commerces, mais aussi celle de la réouverture et du temps nécessaire au rétablissement du chiffre d’affaires, les parties auraient le plus grand intérêt à revisiter les notions telles que le taux d’effort et les clauses de retour à meilleure fortune pour bâtir un accord temporaire, avant de retourner à l’application du contrat.

Mots-clés : Covid-19