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Point de vue de Christopher Boinet et Anne Epinat, In Extenso Avocats

Communication des comptes d’exploitation des résidences de tourisme classées : un puissant levier judiciaire et financier des propriétaires contre les gestionnaires

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Le problème de non-paiement des loyers par les gestionnaires de résidences de tourisme du fait de la crise actuelle agite le secteur du tourisme. Il ne doit pas pour autant masquer un autre sujet, tout aussi important : l’obligation qui incombe aux exploitants de résidences de tourisme classées de communiquer aux propriétaires leurs comptes d’exploitation détaillés. À défaut, ces derniers s’exposent à des amendes pouvant rapidement monter à plusieurs milliers d’euros par jour de retard.

Depuis la loi Novelli du 22 juillet 2009, les exploitants des résidences de tourisme classées ont l’obligation1 de tenir des comptes d’exploitation distincts pour chaque résidence et de les communiquer annuellement à chaque propriétaire, accompagnés d’un bilan annuel comprenant les taux de remplissage obtenus de la résidence, les événements significatifs de l’année, le montant et l’évolution des principaux postes de recettes et de dépenses de la résidence. Si ces obligations ne sont pas nouvelles, leur importance a été trop souvent négligée par les gestionnaires de résidences de tourisme classées.

Ainsi par deux arrêts retentissants rendus le 28 février 2017, la Cour de cassation est intervenue pour mettre fin à l’opacité des comptes communiqués aux copropriétaires de résidences de tourisme classées, en confirmant deux arrêts de cour d’appel (Rennes et Poitiers2) ayant considéré que :

  •  l’exploitant de la résidence de tourisme doit leur communiquer les comptes d’exploitation dans leur intégralité ;
  • le compte d’exploitation prévu par le Code du tourisme doit correspondre au compte d’exploitation dans son acceptation usuelle.

Très récemment, ce contentieux a connu un rebondissement avec la décision rendue par la cour d’appel de Rennes le 15 janvier 20203 qui établit une liste limitative des informations à communiquer : « Un compte d’exploitation qui (...) comporte de manière ventilée, au titre des charges variables : les postes de commissions, linge, ménage, énergie et, au titre des charges fixes : les postes de frais de personnel, maintenance, location, taxes (…) » est conforme aux prescriptions de l’article L.321-2 du Code du tourisme.

La prudence reste de mise pour les exploitants car rien ne permet d’affirmer que l’interprétation limitative du contenu par la cour d’appel de Rennes sera partagée par d’autres juridictions saisies de la même question.

Si ce débat sur le contenu de l’information due par les gestionnaires de résidences de tourisme classées aux propriétaires peut paraître théorique, voire accessoire, par rapport au paiement régulier des loyers attendus par les propriétaires-bailleurs, il revêt en réalité une importance cruciale, tant la violation de cette obligation peut malmener l’équilibre des rapports entre gestionnaires et propriétaires.

Cette disposition a ainsi été largement instrumentalisée par les propriétaires qui ont tiré argument de son non-respect, valant motif légitime, pour :

  • contrer les demandes de modification amiable du loyer par le gestionnaire, ou
  • délivrer à celui-ci un congé sans offre de renouvellement du bail commercial… en refusant de s’acquitter de l’indemnité d’éviction, du fait du comportement fautif du gestionnaire.

En plus d’être un levier de négociation opportun pour les propriétaires, le constat d’une violation par le gestionnaire de son obligation d’information peut constituer une « arme de destruction massive » sur le plan judiciaire.

Ainsi, les copropriétaires avisés pourront saisir en référé le tribunal compétent pour enjoindre au gestionnaire de communiquer les pièces visées par l’article L.321-2 du Code du tourisme avec une astreinte par jour de retard dans la communication de ces documents.

Les ordonnances de référé étant exécutoires immédiatement même en cas d’appel, le gestionnaire n’aura d’autre choix que de s’exécuter au plus vite, s’il ne veut pas s’exposer à un trop grand risque financier.

À titre illustratif, dans les arrêts d’appel rendus à Rennes et Poitiers mentionnés plus haut, le gestionnaire a été condamné à une astreinte fixée respectivement à 20 et 50 € par jour de retard et par propriétaire (en l’espèce 138 propriétaires à Rennes et 133 à Poitiers, soit environ de 2 600 € à 6 900 € d’astreinte par jour de retard).

Les propriétaires des lots de résidence de tourisme classée sont en effet souvent très nombreux et peuvent se compter en plusieurs centaines : ainsi, l’astreinte peut rapidement monter à quelques milliers d’euros par jour de retard.

En conclusion, les gestionnaires doivent impérativement faire preuve du plus grand zèle et de la plus grande rigueur dans l’établissement et la communication de leurs comptes d’exploitation et du bilan annuel de l’activité de chaque résidence gérée.

À noter que ne sont pas concernées par ces obligations les résidences de tourisme non classées et autres résidences hôtelières. Les propriétaires seront ainsi appelés à être vigilants en cas de déclassement (notamment par absence de renouvellement du classement quinquennal) de leur résidence de tourisme du fait du gestionnaire.

1 Visée par l’article L.321-2 du Code du tourisme.

2 CA Rennes, 27 avril 2016 et CA Poitiers, 27 avril 2016.

3 Décision de la cour d’appel de Rennes no 18/07809 suivant requête introduite par le gestionnaire en interprétation de l’arrêt rendu par la même cour le 27 avril 2016.