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Point de vue d'Édouard Vitry et Sylvie Chandesris, Addleshaw Goddard

Le paiement des loyers des baux commerciaux face à la crise sanitaire : des avancées timides pour un contentieux qui n’est pas près de se tarir

© Aerial Mike / Adobe Stock

Le droit spécial des baux commerciaux pendant la pandémie du Covid a vu le jour lors de l’annonce présidentielle d’Emmanuel Macron en mars 2020 annonçant la suspension des loyers pour les plus petites entreprises. De nombreux preneurs se sont engouffrés aussitôt dans la brèche en arrêtant de payer leurs loyers commerciaux.

La loi no 2020-1379 du 14 novembre 2020 instaure une période protégée à compter du 17 octobre 2020 jusqu’à deux mois après la cessation de la mesure de police administrative affectant l’activité du preneur pendant laquelle les preneurs ne payant pas les loyers et charges dus pendant cette période seront exonérés de mesures coercitives, à condition qu’ils remplissent certains critères cumulatifs d’éligibilité en termes notamment de chiffre d’affaires et d’effectif salarié.

Pendant cette période, pour le moins floue temporellement, les bailleurs sont privés de leur droit d’agir en recouvrement puisque les mesures coercitives allant de la simple pénalité financière à la clause résolutoire se trouvent neutralisées. Et pendant cette période seulement ! En effet, si un consensus émerge de la jurisprudence, c’est bien celui du maintien de l’exigibilité des loyers une fois la période protégée terminée.

I. Les fondements du preneur pour s’abstenir « momentanément » de verser les loyers dus

La force majeure ne s’appliquant pas aux obligations de payer des sommes d’argent et les épidémies n’étant généralement pas considérées comme des cas de force majeure, ce fondement s’est révélé clairement inopérant. L’exception d’inexécution se heurte, elle, à l’absence de faute du bailleur qui n’a à garantir ni la chalandise ni le cadre normatif dans lequel s’exerçait l’activité du preneur (TJ Paris 25 février 2021 no 18/02353).

De plus, il n’est pas certain qu’un preneur ayant cessé spontanément de payer ses loyers et charges à l’annonce du président puisse se fonder sur la disproportion manifeste entre le coût de l’exécution et son intérêt pour le bailleur faute d’être considéré de bonne foi. Quant à l’imprévision, elle s’est bien souvent révélée inefficace pour les baux conclus avant la réforme du droit des obligations, auxquelles ses dispositions ne s’appliquaient pas, et pour les baux conclus après 2016, dans lesquels les parties avaient renoncé au jeu de l’article 1195 du Code civil qui n’est pas d’ordre public.

Un arrêt ancien de la Cour de cassation assimilant l’impossibilité absolue de jouir des locaux à la perte de la chose jugée sera peut-être le salut des preneurs (Cass. 1re civ., 29 nov. 1965, no 63-13.621 : Bull. civ. I, no 655). Pour l’instant, certains juges du fond l’admettent (TJ La Rochelle, 23 mars 2021, no 20/02428), d’autres la rejettent (CA de Versailles, 6 mai 2021) au motif que c’est l’activité du preneur qui est touchée par les mesures sanitaires et l’impossibilité de jouir n’est que temporaire, oubliant au passage une autre jurisprudence appliquant la perte de la chose louée lors d’une impossibilité temporaire d’en jouir (Cass. 29 novembre 1965 publié au bulletin). En réalité, les juges se divisent selon une approche finaliste ou bien matérielle de la chose louée. Seule la Cour de cassation sera à même de clore le débat.

À ce jour, aucun consensus ne se dégage, les juges des référés, évitant de se prononcer sur la réception de ces arguments, préfèrent renvoyer la balle aux juges du fond qui semblent, eux, favoriser les bailleurs.

II. Les solutions alternatives : la voie à privilégier

En attendant une jurisprudence plus claire, la recherche d’alternatives à la voie judiciaire, encouragée par les juges du premier degré eux-mêmes, semble être la solution la plus prudente en raison de l’encombrement des juridictions accru en période de pandémie et de l’aléa judiciaire. En pérennisant la relation contractuelle et en acceptant une diminution de loyer, par exemple, la situation peut être « gagnant-gagnant ».

La médiation permettra aux parties de construire ensemble une solution sans se la voir imposée en renégociant certaines clauses du bail, dont le montant du loyer. La signature d’un protocole d’accord sera également le moyen de mettre en place un échéancier de paiement pour les loyers non versés, de consentir un abandon de créances ou encore de rompre de façon amiable et anticipée une relation contractuelle dans l’optique de renégocier un bail plus équilibré. Un avenant au bail, avec ou sans effet rétroactif, est aussi envisageable.

En cas de désaccord persistant, les parties pourront se tourner vers des outils offerts par le statut des baux commerciaux, comme la révision triennale légale et le déplafonnement du loyer, en raison notamment d’une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité, sous réserve que les conditions en soient remplies.

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  • Personnes citées

    Emmanuel Macron

    Président de la République

    Présidence de la République - Palais de l'Élysée