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Dark stores : entre retail et logistique urbaine

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Ils inquiètent beaucoup car ils fleurissent un peu partout en ville : ces dark stores font beaucoup parler d’eux. Qui sont-ils ? Et qu’est-ce qui se cache derrière ce terme à la sémantique inquiétante ?

Nous connaissions déjà les dark kitchens, ces cuisines de restaurants sans clients qui se sont développées grâce aux plates-formes de livraison et de vente à emporter comme Uber Eats ou encore Deliveroo qui en détient désormais quatre sur la région parisienne. Le concept est de pouvoir proposer aux clients des livraisons rapides de plats cuisinés à proximité de chez eux donc des lieux de livraison. Ces dark kitchens se sont massivement développées ces deux dernières années puisque la restauration physique était close pendant les confinements successifs, menant ainsi certains restaurants à faire office eux-mêmes de dark kitchens pour subsister.

Des cuisines sans client aux magasins sans client, il n’y a qu’un pas : le concept de dark store en est la preuve. Il s’agit d’un nouveau modèle de logistique urbaine permettant de répondre à l’essor du e-commerce. Les dark stores sont des entrepôts miniatures qui ont la particularité d’être positionnés en ville à proximité immédiate de leurs lieux de livraison. Une des contraintes pour les brokers qui chassent ces emplacements est bien entendu le loyer qui doit être très maîtrisé. D’un point de vue logistique, ils sont à mi-chemin entre l’entrepôt de périphérie et le point de livraison et permettent ainsi de raccourcir massivement les délais de livraison.

Ces espaces logistiques peuvent se situer en pied d’immeubles assimilés à des commerces dont les portes sont fermées et qui n’accueillent pas de clients. Derrière ces portes closes se trouvent pourtant des rayons dans lesquels les préparateurs de commandes s’activent à l’ombre de la rue pour aller toujours plus vite et garantir des délais de livraison records. Le développement d’enseignes de livraison rapide telles que Frichti, Kol, Cajoo, Gorillas ou encore Gedir sont la promesse d’une livraison qui est passée sous la barre des 15 minutes. Ces pure players ont trouvé avec les dark stores une solution idéale de logistique urbaine. Les dark stores ne sont pas systématiquement en pieds d’immeuble, mais se retrouvent aussi dans des sous-sols en centre-ville.

Ces dark stores existent déjà depuis 2016, mais leur présence s’est massivement accrue avec l’arrivée de la crise sanitaire mondiale. Marc Lolivier, délégué général de la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad), considère que « la crise a fait gagner quatre ans au développement du e-commerce ».

Un boom avec la crise sanitaire

Nous comprenons bien que l’explosion de ces magasins fantômes surfe aussi sur la fermeture de nombreux commerces et entreprises depuis le début de la crise sanitaire. Ils constituent une forme de réponse à la faillite de certaines activités en offrant ainsi aux propriétaires l’opportunité de relouer leurs locaux vacants. Ces fermetures et la pression qu’ils sont en mesure de mettre sur les propriétaires leur est favorable pour négocier les loyers à la baisse et s’implanter dans les quartiers centraux. En effet, nombreux sont les commerces qui ont mis la clé sous la porte ces dernières années, on en compte pas moins de 1 164 uniquement sur Paris depuis 2017 (source : Chambre de commerce de Paris) en partie à cause de la crise actuelle. La périphérie ayant mieux résisté aux confinements, notamment grâce au télétravail.

Cette progression du e-commerce boostée par la crise sanitaire a largement favorisé le déploiement des dark stores. On note qu’en 2020, la vente en ligne de produits alimentaires a grimpé de 42 % en valeur, et atteint 7,8 % de parts de marché quand celle des services a baissé de 10 % (source : Fevad). On constate ainsi que le e-commerce a pris plus de 30 % tandis que le commerce de détail a baissé de 4 % (source : Banque de France) ce qui est en partie dû à la fermeture des points de vente physiques pendant les confinements.

En accompagnant l’explosion du e-commerce, et en particulier de produits de grande consommation, les dark stores suivent la tendance et se développent fortement. La plate-forme de livraison Gedir a ainsi prévu de déployer une centaine de dark stores en France à partir de cette année. Ils sont donc tout simplement la suite logique du boom de la vente en ligne, en particulier des produits alimentaires. Ces derniers demandent de la rigueur pour respecter la chaîne du froid et ne constituent pas un moment shopping plaisir pour les clients : la vente en ligne se substitue ainsi facilement à la vente physique sur ce type de produits. Quoi de mieux pour les plates-formes de livraison que des locaux en centre-ville qui permettent de préparer puis de livrer rapidement les clients urbains à proximité et assurer le dernier kilomètre ?

C’est ainsi que les enseignes traditionnelles du segment alimentaire ont été fortement secouées par ces start-up disruptives. Par conséquent, elles ont été contraintes de s’adapter à ce nouveau mode de consommation et à cette rapidité de livraison en créant leurs propres dark stores. Monoprix a par exemple complété sa chaîne de magasins physiques par des dark stores, poussé par son distributeur en ligne Amazon. On comprend bien ici que pour éviter de se faire uberiser par les pures players de la vente alimentaire en ligne, les enseignes traditionnelles du segment alimentaire ont dû s’adapter et faire évoluer leur offre à leur tour. 

Du dark store à la dark town

Cependant, la montée en puissance de ces dark stores est préoccupante quant à la qualité de nos centres-villes, tant sur le point de l’animation que sur celui de la qualité de vie. À Paris, la fréquentation des commerces a baissé de 41 % par rapport à 2019 (source : IRI / données : MyTraffic) dont 7,5 % sur l’alimentaire. Les chiffres du Procos montrant déjà une tendance à de plus grandes difficultés au maintien du commerce physique ces deux dernières années sur les artères parisiennes. Il est évident que ces dark stores contribuent à limiter la reprise de l’activité des commerces physiques et leur fréquentation. Cela entraîne inévitablement une diminution de l’animation des centres-villes.

D’une manière générale, de nombreuses villes tirent la sonnette d’alarme face à cette situation, notamment pour mettre en lumière les problèmes de nuisances et de sécurité liés aux allées et venues des livreurs dans de nombreux quartiers. Des collectifs d’habitants, comme récemment à Toulouse, se soulèvent pour bloquer la création de nouvelles dark kitchens. Certaines villes vont même jusqu’à interdire leur prolifération comme, Bruxelles qui a récemment refusé une nouvelle implantation. Pour certains, il est urgent de légiférer sur l’évolution très rapide de ces dark stores afin de tenter de la contenir et de l’organiser sur le territoire. 

On peut légitimement se demander jusqu’à quand les opposants tiendront face au développement de ces espaces qui répondent à un besoin, celui de satisfaire le client final toujours plus exigeant.

Alors, vous l’aurez compris, d’accord ou pas d’accord avec ce nouveau modèle de logistique urbaine, les dark stores du e-commerce et les commerces traditionnels n’ont pas fini de se livrer bataille.

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