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Par Boubakr Rahmani

Systèmes électriques du bâtiment : intégrer l’économie circulaire

Les industriels ont optimisé la consommation énergétique des équipements électriques en adéquation avec les différentes normes nationales et européennes (Pacte vert européen, loi Agec, Plan France Relance, standards RoHS...). Dorénavant, ces derniers vont devoir se pencher sur la problématique de rendre les appareils de demain plus durables, réparables et recyclables.

En partenariat avec Fondation Palladio

© venimo / Adobe Stock

Le secteur de l’installation et du génie électrique est un des principaux corps de métiers du secteur BTP. Il représente environ 16 % du volume de travaux du bâtiment. Ce volume diffère des autres du BTP dans sa constitution de métaux rares, de composants non recyclables, de l’hétérogénéité des produits et de la provenance problématique de ses matières premières. Les équipementiers du BTP ont réalisé un effort considérable dans « l’efficacité matière » en réduisant l’apport de matières premières dans le produit tout en optimisant son « efficacité énergétique ». Mais 80 % de l’impact environnemental des installations électriques est lié à la fabrication, loin devant l’usage et la logistique. D’où l’importance de prolonger la durée de vie de ces équipements.

De plus, selon les études réalisées par le groupe Legrand en 2017, 43 % des Français sont soucieux de la réputation sociale et politique des marques. Ainsi, la qualité des produits et des prestations n’est plus le seul critère de choix. La dimension citoyenne des marques de matériels électriques du bâtiment devient de plus en plus une exigence. Plusieurs grands groupes s’intéressent déjà à l’économie circulaire et cette dernière fait d’ores et déjà partie de la feuille de route RSE des entreprises. Cependant, les acteurs de la chaîne de valeur de ces produits, allant de la conception jusqu’à la fin de vie en passant par leurs acheminement, vente et usage, ne sont pas encore correctement organisés pour faciliter l’application des principes fondamentaux de l’économie circulaire. 

Un potentiel de réutilisation variable

Le secteur des installations électriques intervient dans différentes typologies immobilières, du logement au tertiaire en passant à l’industrie et aux réseaux extérieurs. Dans le même domaine, différents équipements peuvent être utilisés. Nous pouvons les regrouper en sept grandes familles différenciées par leurs types de fonctions, leurs tailles, leurs compositions matériels : alimentation électrique, tableau électrique, distribution des réseaux, éclairage, appareillage électrique, ventilation/chauffage et nouveautés (IoT, chargeurs, batteries, etc.) Quelques-unes de ces familles d’équipements ont une fin de vie correctement maîtrisée et la récupération de leurs métaux est très efficace comme la filière des éclairage et écrans L&T (lampe et tube). Cependant, la plupart des équipements électriques intégrants des cartes électroniques, des composants numériques ou un câblage gainé se voient perdre leur valeur fonctionnelle et matérielle par une technologie de recyclage très peu mature (on peut citer par exemple, les câbles en cuivre qui ne sont recyclés qu’à 55 % selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), les résines Epoxy dans les cartes électroniques ne peuvent plus effectuer leur fonction initiale après recyclage, elles sont donc « down-cycler » pour des applications moins contraignantes dans la cimenterie ou autre...).

Le recyclage reste de toute façon une étape obligatoire pour répondre aux exigences de l’économie circulaire, mais face à des rendements des technologies d’extraction de métaux encore jugés insuffisants, d’autres scénarios de fin de vie doivent être considérés, comme la réparation, la remanufacture ou encore la réutilisation. Le recyclage ne doit intervenir que quand la valeur du produit tend réellement à être nulle et donc les acteurs du BTP peuvent juger que l’équipement ne satisfait plus sa fonction pour aucune application et aucun cahier des charges. Les acteurs doivent accepter de créer un indicateur uniforme capable d’identifier la valeur du produit après un certain usage afin de planifier le prochain.

Le plan d’action européen de l’économie circulaire semble privilégier le système B2B en responsabilisant l’équipementier par le principe du « pollueur-payant ». L’équipementier, à son tour, peut signer un contrat où il a la possibilité de mettre en location ses équipements et accepte de couvrir sa maintenance et sa réparation pendant une durée déterminée. Cette économie de service est très présente dans le domaine de l’imprimerie ; les entreprises ne vendent plus qu’une imprimante brute, mais un pack produit-service incluant l’expertise de maintenance continue et d’usage optimal et la responsabilité de l’industriel de maintenir, réparer et remanufacturer les produits défectueux. Le B2B permet aussi d’augmenter le taux de retour des équipements électriques et évite la fuite des déchets d’équipement électrique et électronique (DEEE) à l’étranger.

Trois grands verrous

L’implémentation de ces types de systèmes se heurte à trois grands verrous. D’abord légal, alors que la réutilisation des équipements électriques pose la question de la responsabilité des entreprises à fournir un produit de seconde main fiable et sans danger pour les humains. La question de la situation légale des DEEE est aussi centrale car, selon le lieu d’abandon ou le matériel, il appartient à différentes entités de le traiter.

Un autre point de friction est d’ordre technique, puisqu’un effort considérable doit être fait dans la R&D pour non seulement intégrer les contraintes environnementales dans la conception du produit, mais aussi pour innover et proposer des alternatives durables et réparables. Des progrès sont à faire au niveau de la démontabilité facile des équipements électriques, la standardisation des produits et de leurs moyens de désassemblage, et enfin veiller au choix des matériaux qui ont un taux de recyclage élevé.

Finalement, un défi d’ordre managérial se pose. Savoir communiquer les données nécessaires entre les acteurs de la chaîne de valeur pour que les scénarios de fin de vie se passent correctement sans pertes de moyens. Inventer un nouveau cadre de contractualisation entre les acteurs permettant certaines actions de l’économie du service encore impossible de nos jours.

Selon la commission européenne, notre modèle économique linéaire reposant sur « Produire-Consommer-Jeter » « n’offre pas suffisamment d’incitations aux industriels » pour passer à un modèle circulaire. Mais, depuis quelques années, la pression réglementaire s’intensifie et résulte en l’instauration de nouvelles mesures. Deux grandes lois ont été adoptées en 2021, incitant d’avantage. Le plan d’action européen et la loi française Anti-gaspillage et économie circulaire permettront d’évaluer à intervalle régulier les performances environnementales des entreprises et donc d’accélérer l’entrée des outils d’écoconception dans les centres R&D de ces dernières.

© Pierre Jaillet

Lauréat d’une bourse Palladio 2020, prochainement docteur en génie électrique à l’université de Grenoble Alpes et anciennement ingénieur chez TDK corp en microélectronique, Boubakr Rahmani s’intéresse particulièrement à la transition d’un système économique linéaire à un autre circulaire grâce à des moyens de réemploi, réparation et recyclage pour le domaine des déchets électroniques et équipements électriques. Ses projets de recherche permettront de réfléchir à une transition énergétique sans créer de finitude de matériaux rares, et pour cela l’approche innovante adoptée est la modularité et la standardisation des produits.

Boubakr Rahmani s’intéresse actuellement à la décarbonation des moyens de transports (maritime, terrestre…).


Article issu du numéro 186 de Business Immo Global.

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