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Charles-Edouard Brault - Brault & Associés

Quelle est la date de départ des intérêts après fixation judiciaire du loyer ?

Depuis quelques années, et sous l’instigation des juridictions parisiennes, la jurisprudence de la Cour de cassation sur les rappels de loyers fixés judiciairement était remise en cause.

Aux termes de diverses décisions anciennes, la Cour de cassation avait décidé que les intérêts étaient dus sur les rappels de loyers à compter de la prise d’effet du renouvellement ou de la demande de révision, et au fur et à mesure des échéances contractuelles.

Cette jurisprudence était rendue au visa de l’article 1155 du code civil, et certains juges des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Paris, puis la cour d’appel, ont fixé le point de départ des intérêts à la date de la décision fixant le loyer.

Pour ces magistrats et s’agissant d’intérêts moratoires, il fallait pour des revenus échus tels que des loyers visés aux dispositions de l’article 1155 du code civil, qu’ils soient déterminés en leur montant, soit à compter du jour où la décision de fixation de loyer est rendue.

Dans son arrêt du 3 octobre 2012, la Cour de cassation casse un arrêt rendu par la cour d’appel de Paris au visa des dispositions de l’article 1155 du code civil :

« Attendu que pour dire que les intérêts au taux légal sur le complément de loyer courront à compter de son prononcé, l’arrêt retient que les intérêts moratoires supposant, même pour les revenus échus, tels que les loyers visés à l’article 1155 du code civil, que ces revenus soient déterminés dans leur montant, le retard ne pouvant dans le cas contraire être caractérisé ; Qu’en statuant ainsi, alors que les intérêts moratoires attachés au loyer courent, en l’absence de convention contraire relative aux intérêts, du jour de la demande en fixation du nouveau loyer par le seul effet de la loi, la cour d’appel a violé le texte sus-visé. »

La cour réaffirme donc sa jurisprudence traditionnelle et son interprétation de l’article 1155 du code civil.

Les conséquences financières ne sont pas négligeables, et ce d’autant que la capitalisation des intérêts dus pour plus d’une année peut intervenir dans les conditions du droit commun.

Ce n’est qu’en cas de disposition contractuelle contraire que les intérêts sur rappel de loyer pourront partir à une autre date que celle correspondant au renouvellement ou à la demande de révision du loyer.

Ne faire courir les intérêts qu’après fixation judiciaire permettait de mettre les parties sur un pied d’égalité, mais n’apparaissait pas opportun au regard des dispositions du code civil et du bon déroulement de l’instance en fixation de loyer…

Dans les faits, le rappel du principe posé par la Cour de cassation devrait conduire à éviter certaines manœuvres des locataires qui tentaient de retarder le plus possible la procédure de fixation de loyer.

>> Arrêt

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 16 février 2011), que les consorts X..., Y... et Z..., propriétaires de locaux donnés à bail commercial à la société Hôtelière Richepanse, lui ont délivré un congé pour le 1er janvier 2004, avec offre de renouvellement ; que leur locataire n’ayant pas accepté le loyer proposé, ils ont saisi le juge des loyers commerciaux en fixation du prix du bail renouvelé ;

Sur le premier moyen, ci-après annexé : Attendu qu’ayant relevé que la société Hôtelière Richepanse versait aux débats un état des marchés signés et des travaux complémentaires et retenu souverainement que l’importance et la nature des travaux réalisés n’étaient pas sérieusement contestables dès lors qu’ils avaient consisté en une réhabilitation de l’hôtel Opéra Richepanse qui avait porté son classement de trois à quatre étoiles, la cour d’appel, qui ne s’est pas uniquement fondée sur les pièces critiquées, a légalement justifié sa décision de ce chef ;

Mais sur le second moyen, qui est recevable :
Vu l’article 1155 du code civil ;
Attendu que, les revenus échus, tels que fermages, loyers, arrérages de rentes perpétuelles ou viagères, produisent intérêt du jour de la demande ou de la convention ; Attendu que pour dire que les intérêts au taux légal sur les compléments de loyers courront à compter de son prononcé, l’arrêt retient que les intérêts moratoires supposant, même pour les revenus échus tels que les loyers visés à l’article 1155 du code civil, que ces revenus soient déterminés dans leur montant, le retard ne pouvant dans le cas contraire être caractérisé ; Qu’en statuant ainsi, alors que les intérêts moratoires attachés aux loyers courent, en l’absence de convention contraire relative aux intérêts, du jour de la demande en fixation du nouveau loyer par le seul effet de la loi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a dit que les intérêts au taux légal sur les compléments de loyers courront à compter de son prononcé, l’arrêt rendu le 16 février 2011, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ; Condamne la société Hôtelière Richepanse aux dépens ; Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société Hôtelière Richepanse à payer aux consorts X..., Y...et Z... la somme de 2 500 euros ; rejette la demande de la société Hôtelière Richepanse ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ; Ainsi fait et jugé par la cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois octobre deux mille douze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt Moyens produits par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour les consorts X..., Y...et Z....

PREMIER MOYEN DE CASSATION Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’AVOIR limité à la somme de 130 000 euros en principal par an à compter du 1er janvier 2004 le montant du loyer du bail renouvelé depuis cette date entre la société HOTELIERE RICHEPANSE et les consorts X...-Y...-Z... et d’AVOIR débouté les consorts X...-Y...-Z... du surplus de leurs demandes ; AUX MOTIFS QUE la société HOTELIERE RICHEPANSE qui revendique, pour l’évaluation du loyer, un abattement pour travaux de 35 % se prévaut d’un montant de travaux de 4 971 653 francs, soit 757 924 euros outre les honoraires de maîtrise d’oeuvre ; que si elle ne produit effectivement pas les factures afférentes, la société HOTELIERE RICHEPANSE verse aux débats, outres des actes d’engagement de marché de diverses entreprises, l’état des marchés signés et travaux complémentaires ; que l’importance et la nature des travaux réalisés ne sont par ailleurs pas sérieusement contestables dès lors qu’ils ont porté sur une « réhabilitation » de l’hôtel Opéra Richepanse ce qui a permis son classement de 3 à 4 étoiles ; qu’il demeure que sur un montant de travaux de 4 971 653 francs (757 924 euros) retenu par l’expert judiciaire au vu de l’état des marchés signés et travaux complémentaires, 71 670 francs correspondent au prix d’un aspiration intégrée et 308 810 francs à des travaux de couverture alors que de tels travaux ne relèvent pas de l’article 1er de la loi du 1er juillet 1964 à la différence des autres postes exactement pris en compte par l’expert judiciaire, y compris les revêtements sols durs et faïences de salles de bains qui relèvent de l’équipement sanitaire en s’ajoutant au travaux déjà considéré par l’expert au titre du poste plomberie sanitaire ; que les travaux seront en conséquence pris en compte à hauteur d’un total de 4 591 173 francs soit, arrondis, 699 920 euros ; que s’agissant de travaux amortissables sur 12 ans, l’amortissement annuel représente 58 326 euros environs soit 31, 14 % de la valeur locative ; qu’un abattement de 30 % est en conséquence justifié ;
1°) ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu’il ne peut retenir dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement ; que pour considérer que l’exécution et le montant des travaux allégués par la société HOTELIERE RICHEPANSE étaient établis, la cour d’appel a retenu que, bien que cette société n’ait pas produit les factures correspondantes, elle versait néanmoins aux débats, outres « des actes d’engagement de marché de diverses entreprises », un état des marchés signés et travaux complémentaires ; que la société HOTELIERE RICHEPANSE ne faisait pas état de ces actes d’engagement de marché de diverses entreprises dans ses conclusions et qu’il ne résulte ni des énonciations de l’arrêt, ni des conclusions de cette société, ni de son bordereau de communication de pièces, que ces actes avaient été communiqués aux consorts X...-Y...-Z... ; qu’en se fondant sur ces actes, la cour d’appel a violé les articles 15 et 16 du Code de procédure civile ;
2°) ALORS QU’en toute hypothèse, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu’il ne peut retenir dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement ; qu’en statuant de la sorte, sans inviter les parties à s’expliquer sur l’absence de mention de ces actes dans les conclusions et dans le bordereau de communication de pièces de la société HOTELIERE RICHEPANSE, la Cour d’appel a violé les articles 15 et 16 du Code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR infirmé le jugement du 25 mai 2009 en ce qu’il avait dit que les intérêts au taux légal sur les compléments de loyers seraient dus à compter du 1er janvier 2004, au fur et à mesure de chaque échéance contractuelle, outre capitalisation dans les conditions de l’article 1154 du Code civil, et d’AVOIR dit que les intérêts au taux légal courraient à compter de l’arrêt lui-même ; AUX MOTIFS QUE les intérêts moratoires supposant, même pour les revenus échus tels que les loyers visés à l’article 1155 du Code civil, que ces revenus soient déterminés dans leur montant, le retard ne pouvant dans le cas contraire être caractérisé, les intérêts au taux légal sur les éventuels compléments de loyers courront à compter du présent arrêt ; 1°) ALORS QUE les revenus échus, tels que les fermages, loyers, arrérages de rentes perpétuelles ou viagères, produisent intérêts du jour de la demande ou de la convention ; qu’en fixant au jour de son arrêt le cours des intérêts au taux légal produits par la créance de loyers échus, qui préexistait à cet arrêt, lequel s’est borné à en constater le montant, la Cour d’appel a violé l’article 1155, alinéa 1er, du Code civil ; 2°) ALORS QU’en toute hypothèse, dans les obligations qui se bornent au paiement d’une certaine somme, les intérêts au taux légal sont dus du jour de la sommation de payer ou d’un autre acte équivalent, excepté dans les cas où la loi les fait courir de plein droit ; qu’en fixant au jour de son arrêt le cours des intérêts au taux légal produits par la créance de loyer échus du bail renouvelé à compter du 1er janvier 2004, la cour d’appel a violé l’article 1153, alinéa 3, du Code civil. Publication : Décision attaquée : cour d’appel de Paris du 16 février 2011.